Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Un récit autobiographique et familial de Maxim Leo :
Histoire d’un Allemand de l’Est
(avec un post-scriptum pour Heinz Wismann)
Article mis en ligne le 9 décembre 2012
dernière modification le 1er septembre 2023

par Laurent Bloch

Maxim Leo

Le livre de Maxim Leo, offert à moi par une amie qui ne s’est pas trompée, raconte les itinéraires de l’auteur, de ses parents et de ses grands-parents au travers de l’histoire allemande du court XXe siècle, des années 1920 à la chute du Mur.

Le grand-père maternel de l’auteur, Gerhard, naît en 1923 dans une famille prospère de la bourgeoisie berlinoise. Sa mère descend du navigateur néerlandais Barents, qui a donné son nom à une mer, ce dont tout le monde n’a pas l’occasion (elle est située au nord de la Norvège et de la Russie d’Europe, et sera le théâtre d’une bataille navale germano-britannique en 1942). Son père, avocat, est issu d’une famille juive polonaise installée en Prusse au XVIIIe siècle et convertie au protestantisme, ce qui ne leur évitera évidemment pas la persécution nazie. Après que Wilhelm Leo, le père de Gerhard, eut été incarcéré puis transféré au camp de concentration d’Oranienburg, dont il sera libéré grâce à l’intervention de l’écrivain Ernst Wiechert, les Leo (ex-Levin) comprennent qu’il faut partir, ils paient un contrebandier pour franchir la frontière belge et en 1934 ils sont à Paris.

Wilhelm Leo avait connu des gens destinés à devenir célèbres, Vladimir Ilitch Oulianov et Pierre Mendès-France entre autres. Les idées de gauche ne sont pas sans atteindre le jeune Gerhard, qui militera aux Faucons rouges, l’organisation de jeunesse de la SFIO. Malade, il rencontrera une doctoresse qui lui apprendra le français et lui fera aimer la France. À l’issue d’un camp de vacances, il se convertira au communisme, auquel il restera fidèle toute sa vie. En avril 1940, la police française interne Wilhelm et les deux sœurs de Gerhard au camp de Gurs, en tant que ressortissants allemands suspects. Après l’invasion allemande Gerhard s’engagera dans la résistance française, pour laquelle il accomplira des missions de renseignement et de démoralisation auprès des troupes allemandes dans la région de Toulouse et en Corrèze. Il sera arrêté par les SS de la division Das Reich, frôlera la mort, sera libéré in extremis par les FTP dans le groupe desquels il s’engagera. En 1945 il sera à Düsseldorf, où il travaillera sans doute pour les services secrets de ce qui sera bientôt la RDA, puis il rejoindra l’Est en 1952, pour devenir un personnage important de la presse officielle de la RDA.

Anne, la fille de Gerhard et la mère de l’auteur, Maxim, marchera sur les traces de son père et sera journaliste dans la presse du parti. Sa mère, Nora, est aussi issue d’une famille juive et le père de Nora, Dagobert Lubinski, un communiste dissident, est mort à Auschwitz (il manque à ce livre un tableau généalogique et chronologique récapitulatif). Anne épousera un homme d’un milieu tout à fait différent, Wolf, un artiste marginal à l’esprit indépendant, qui restera pourtant en RDA et y trouvera sa place en tant qu’artiste, mais il ne pourra jamais s’entendre avec son beau-père Gerhard.

La famille de Wolf, le père de Maxim, est en tous points différente de la famille Leo (tiens, pourquoi porte-t-il le nom de sa mère ?). Werner Schwiege, le père de Wolf, un fils d’ouvrier, a adhéré au national-socialisme qui lui procurait travail et ascension sociale, avant de connaître la guerre sur le front français, puis la captivité dans des conditions assez abominables, et de faire une carrière dans les métiers d’art en RDA, où il deviendra même un membre modèle du Parti. Son épouse, Sigrid, était la grand-mère préférée de l’auteur, parce que chez elle ne régnait pas la discipline communiste, on avait le droit de regarder la télévision jusqu’à la fin des programmes (peut-être même les chaînes de l’Ouest) et de manger des gâteaux en quantité exagérée. Werner, comme d’ailleurs son fils Wolf, avait beaucoup de succès auprès des dames, et ils ne dédaignaient pas d’y succomber, ce qui abrégea leurs unions matrimoniales à l’un et à l’autre. Mais ils introduisirent dans l’esprit du jeune Leo des germes de non-conformisme à même d’alléger l’atmosphère étouffante de la RDA.

Si j’écrivais au début que l’amie qui m’avait offert ce livre ne s’était pas trompée, c’est parce que, bien que l’histoire de ma propre famille communiste n’ait rien à voir avec celle qui est décrite ici, c’est pratiquement à chaque page qui décrit la famille maternelle de Maxim Leo que je retrouve des attitudes, des comportements, des façons de parler, qui constituent ce que l’on peut sans doute appeler un éthos communiste, au-delà de la doctrine et de l’idéologie. Ainsi j’en ai appris sur moi-même, sur cette éducation dont je n’ai pas fini de me débarrasser.

Ce texte assez bref donne un panorama étonnant de tous les éléments contradictoires et contrastés qui ont formé l’Allemagne de l’Est, où j’ai eu l’occasion de séjourner pendant mon adolescence, et qui forment aujourd’hui, avec beaucoup de pertes, l’Allemagne tout court. Vers la fin du régime communiste, en effet, une effervescence oppositionnelle se manifestait, à laquelle Anne, la mère de l’auteur, participait, et tous ces contestataires ont nourri des espoirs que la réunification a le plus souvent déçus, ne serait-ce que par son prosaïsme. Le livre de Régine Robin (Rivka Ajzersztejn) Berlin chantiers : Un essai sur les passés fragiles donne à ces événements un autre éclairage, parallèle et complémentaire. Nul doute qu’une des clés de notre histoire gise ici.

PS : Heinz Wismann

Le livre de Leo n’est pas sans me faire penser à celui de Heinz Wismann, Penser entre les langues, qui raconte, à côté de sujets beaucoup trop savants pour moi (Héraclite, Platon, Heidegger, la traduction des textes anciens), son enfance dans l’Allemagne nazie et les illusions de son père, ancien combattant de 1914, qui pensait pouvoir conjuguer son amour de la culture française et son rôle dans l’armée d’occupation.

Après la guerre et la mort du père dans un camp de prisonniers en Russie, le jeune Heinz obtient une bourse pour étudier en France, où il rencontre Jean Bollack, avec qui il travaillera pendant des décennies, à l’intersection de la philosophie, de la philologie et de la linguistique. Son approche entre les langues des civilisations est passionnante, elle peut aussi intéresser les informaticiens, par la distinction qu’il fait entre langues de culture et langues de service.

Entre autres pages passionnantes, Wismann propose un dévoilement de l’antisémitisme de Heidegger dans son vocabulaire, ainsi qu’une belle comparaison de l’allemand et du français dont on peut écouter un aperçu dans l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut sur France Culture.