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Un enfer pour les indépendants :
Urssaf, CIPAV, RSI, le cauchemar
Article mis en ligne le 16 mars 2017
dernière modification le 17 mai 2018

par Laurent Bloch

Pourquoi créer une entreprise ?

Il y a une quinzaine d’années j’ai créé une micro-entreprise afin de pouvoir répondre à des demandes de consultation rémunérées sans me trouver en faute à l’égard du fisc et surtout des organismes sociaux. C’est dire que l’activité de cette entreprise est faible, et la plupart de ses exercices dégagent zéro euros de chiffre d’affaires.

La création d’une micro-entreprise est une démarche très simple, moins d’une demi-journée, sans même avoir à se déplacer, tout par Internet. Au début, chiffre d’affaires ou pas, il fallait payer quelques taxes et cotisations, pour des montants très modérés si le revenu était nul. Puis vint le bon Monsieur Raffarin, qui édicta une règle qui semble de bon sens : à revenu nul, taxation et cotisations nulles (sauf la taxe professionnelle, une centaine d’euros). Donc tout allait bien, puisque justement mes revenus étaient nuls la plupart du temps.

En 2008 fut créé le régime, légèrement différent, d’auto-entrepreneur, encore plus simple, qui connut d’emblée un grand succès, entre autres motifs parce qu’il était un moyen d’échapper en partie au statut démoralisant de chômeur à plein temps. Ce succès suscita la mauvaise humeur (justifiée) des organisations d’artisans, qui y voyaient la porte ouverte à certaines concurrences déloyales. D’autre part les organismes de protection sociale des indépendants furent quelque peu déstabilisés par l’afflux d’un très grand nombre de nouveaux cotisants pour des montants très faibles, voire nuls, mais qu’il fallait néanmoins administrer.

Des ajustements qui compliquent

La constatation de ces effets non désirables conduisit en 2011 à assujettir les auto- et micro-entrepreneurs à la Contribution à la formation professionnelle, puis à la Cotisation foncière des entreprises (qui a remplacé la taxe professionnelle et la cotisation sur la valeur ajoutée). Bref, si la création d’activité restait simple, le régime fiscal et social se complexifiait au fil des coups de barre rectificatifs à droite et à gauche.

Ce que je n’avais pas vu venir (je ne crois pas avoir été le seul dans cette ignorance), c’était l’extension aux micro- et auto-entrepreneurs d’une vaste entreprise de rationalisation catastrophique, le régime social des indépendants (RSI), organisme de droit privé doté de la mission d’assurer la protection sociale obligatoire des travailleurs indépendants, artisans, industriels et commerçants et professions libérales. Comme souvent, le RSI partait d’une bonne idée (du ministère Raffarin en 2005) et sa réalisation est catastrophique.

Bref, toujours pour un chiffre d’affaires le plus souvent nul, je me trouvais face à pléthore d’interlocuteurs qui attendent que je leur déclare mon chiffre d’affaires et que, le plus souvent, je leur verse de l’argent :

 la Direction générale des Finances publiques, bien sûr ;
 la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV), régime obligatoire, particulièrement avide et peu regardante sur les moyens de recouvrer ce qu’elle pense être son dû ;
 le RSI ;
 l’URSSAF ;
 Net-Entreprises, le portail du GIP de modernisation des déclarations sociales des entreprises.

Un piège

En fait j’étais tombé dans une chausse-trappe de la réglementation peu signalée mais néanmoins bien présente : depuis une date que je suis incapable de préciser, tout micro-entrepreneur qui n’a déclaré aucun revenu pendant deux ans ou 24 mois d’affilée perd le bénéfice de ce statut et retombe sous le régime général, ce qui est catastrophique ! Bien sûr personne ne m’a jamais notifié cette modification de mon statut, qui me faisait connaître de l’URSSAF comme gérant majoritaire d’une société, avec des conséquences intéressantes que nous allons voir.

En 2015, je vois soudain apparaître sur mon compte bancaire un débit imprévu de près de 4000 euros au bénéfice de l’URSSAF. Entre temps l’organisation des déclarations avait été sous-traitée à Harmonie Mutuelle, dont le système d’information avait gravement dysfonctionné, ce qui explique que je n’ai jamais été invité à déclarer mes revenus (nuls). J’étais donc taxé d’office. Peu de temps après s’annonce un autre prélèvement de plus de 3000 euros. Je téléphone, quand même un peu perturbé, après avoir fait les virements appropriés pour éviter l’interdiction bancaire, on me dit « non non, c’est une erreur, on va vous rembourser ». Bon.

Deux mois plus tard pas de remboursement, je re-téléphone : « Ah mais vous n’aviez pas joint de RIB à votre lettre de demande de remboursement ! — Attendez, vous aviez bien su me prélever 4000 euros, c’est donc que vous disposiez de mes coordonnées bancaires ? — Ah mais ça c’est un RIB pour les prélèvements, pas pour les versements ».

J’ai fini par être remboursé, mais combien d’assujettis ont-ils subi le même sort, qui n’avaient peut-être pas quelques milliers d’euros disponibles sous la main pour faire face à la situation, et dont la vie a pu être gravement perturbée par ces exactions ?

Indigence des Systèmes d’information

Ce que j’ai oublié de préciser, c’est qu’il est difficile d’avoir auprès de tous ces organismes un interlocuteur humain, tout est censé se faire par leur portail Web, mais leurs sites sont catastrophiques, souvent en panne, inintelligibles, encombrés de choses inutiles qui dissimulent les informations indispensables. De façon plus générale, le Système d’information de tous ces organismes semble dans un état de délabrement avancé (sauf celui de la Dgfip), aucune entreprise soumise à la concurrence n’y survivrait, mais là, la clientèle est captive, ô combien ! D’ailleurs, ces SI sont-ils interconnectés ? Oui, mais mal, les échanges d’informations sont incohérents et imprévisibles. Bon, moi je suis à la retraite et j’ai le temps de persévérer, mais que se passe-t-il pour un véritable indépendant qui passe son temps à courir de client en client ?

En 2016, lassé de payer chaque année quelques centaines d’euros pour rien, mais dans l’incapacité de clôre mon activité parce que de temps en temps je dois toucher des honoraires et que sans déclaration je serais hors la loi, je décide de régulariser ma situation. J’écris à l’URSSAF, plusieurs fois, on me répond, aimablement. Mon statut de micro-entrepreneur (entre temps fusionné avec celui d’auto-entrepreneur) est rétabli. On m’envoie, par un autre canal, un certificat d’inscription, avec un SIRET, différent du précédent. On m’invite à aller sur le site pour établir mes déclarations (en 2016 j’ai touché quelques sous). Là je tape mon nouveau SIRET : il est refusé comme non conforme au format attendu. Je re-téléphone : « Ah c’est un SIRET provisoire, il faut patienter ». Patienter ? le courrier reçu dit bien qu’en cas de retard de déclaration je serai taxé d’office, encore quelques milliers d’euros...

Comment ne pas s’énerver ? En ce qui me concerne je peux essayer de garder mon sang-froid parce que mon activité indépendante est annexe et que j’ai le temps et les moyens financiers de faire face à ces événements, mais qu’en est-il des consultants qui passent leurs journées à courir pour des honoraires souvent faméliques et hypothétiques ? Je suppose que beaucoup, de désespoir, s’apprêtent à voter Front national, ce qui somme toute est une réaction assez modérée (mais totalement illusoire) face à la noirceur de la situation.

Un espoir bientôt déçu

Mise à jour 20 mars : je trouve dans mon courrier une lettre de la CIPAV qui renonce à me gérer directement. La lettre contient même le mot « remboursées », ce qui doit être fort rare. Comme quoi un effort bureaucratique peut porter des fruits. Encore faut-il avoir le temps de l’entreprendre. Cela dit, tout n’est pas fini, la CIPAV persiste à me demander des centaines d’euros, en espérant sans doute que dans l’affolement et la peur de l’huissier je paye, ce qui doit arriver souvent.

Un collègue et ami me signale un autre exemple de bureaucratie délirante étayée par un système d’information indigent :
http://blog.le-miklos.eu/?p=3057

Ce qui serait une solution intelligente

La solution la plus intelligente que j’ai connue pour cette situation de travaux rémunérés occasionnels est ce qui se faisait à l’Institut Pasteur lorsque j’y étais : le client qui souhaitait obtenir les services temporaires d’un salarié de l’Institut passait un contrat avec l’Institut, qui encaissait les honoraires et les reversait intégralement à celui qui exécutait la mission, sous forme de supplément de salaire. Ainsi tout le monde avait son dû, à commencer par le fisc et les organismes sociaux, sans bureaucratie excessive. Devoir créer une entreprise pour une mission tous les 36 du mois est idiot, donne du travail à beaucoup de monde sans bénéfice pour personne.

Jeu de billard à trois bandes

Mise à jour le 14 avril : Net-entreprises.fr me demande de déclarer mes revenus du premier trimestre 2017 (égaux à zéro). Je me connecte au site, donne mon SIRET, mon identité, mon mot de passe. On me demande alors mon NIR (« numéro de sécurité sociale »), qui est rejeté comme inconnu au bataillon. Après plusieurs heures sur les sites de Net-entreprises.fr et de l’URSSAF et près de deux heures d’attente au téléphone (à 12 cents la minute, pour 5 mn de conversation), je finis par tomber sur la bonne personne, au service informatique de Net-entreprises.fr, qui identifie la cause du blocage : le formulaire de déclaration sur lequel je tombe est celui réservé au régime général pour la Déclaration Sociale des Indépendants (DSI) [1], il faut que je désactive cette rubrique et active celle des micro-entreprises, selon le mode d’emploi présent sur le site. Je déclare mes revenus nuls. Je croise les doigts. J’ai aussi écrit à l’URSSAF, au RSI et à la CIPAV...