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Industrie des Données
Article mis en ligne le 30 août 2017
dernière modification le 9 mars 2018

par Laurent Bloch

Le commerce de données et ses acteurs

Les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) sont de très grandes entreprises du cyberespace, Apple est la troisième entreprise américaine par le chiffre d’affaires avec 229 milliards de dollars (2017), juste derrière le géant américain de la grande distribution Walmart et la société d’investissement de Warren Buffett, Berkshire Hathaway, et après avoir dépassé les pétroliers Exxon-Mobil et Chevron (au classement mondial Apple est au 9ème rang derrière quelques pétroliers chinois et européens, Volkswagen et Toyota). Google et Amazon sont autour de 60 milliards de dollars.

Les revenus de ces entreprises proviennent en partie (pour Apple et Amazon) ou en quasi-totalité (pour Google et Facebook) de la commercialisation de données secondaires laissées sur leurs sites par les internautes. Chaque recherche sur le site de Google, chaque conversation sur Facebook, chaque achat sur Amazon engrange dans les centre de données de ces entreprises des informations dites secondaires, éventuellement calculées à partir des méta-données (origine et destination des communications, identité des interlocuteurs, adresses réseau, dates et heures...), relatives aux goûts, à la résidence, aux fréquentations, etc., qui, dûment anonymisées, agrégées et soumises à des traitements statistiques, seront vendues à des agences publicitaires, des cabinets de marketing, des agences matrimoniales, des opérateurs touristiques, etc. Quant aux données primaires, ce sont la teneur des conversations ou les messages de blog, qui auront été fournis gratuitement par l’internaute.

Ce commerce de données produites gratuitement par des centaines de millions d’internautes et collectées par les entreprises qui ont créé les plates-formes géantes que sont les sites des GAFA est d’ores et déjà un axe de l’économie mondiale, mais ce n’est qu’un début parce que ce phénomène qui concerne aujourd’hui principalement la publicité et le marketing étend progressivement son influence à tous les secteurs.

La négociation du projet de traité de libre échange transatlantique (TAFTA/TTIP) place ces entreprises géantes de l’industrie des données dans une position à bien des égards analogue à celle des marchands britanniques d’opium qui voulaient imposer au marché chinois la commercialisation de leurs stupéfiants, d’où résultèrent au XIXe siècle les deux guerres de l’opium qui asservirent la Chine, jusqu’alors première puissance économique mondiale. De la même façon, les grands acteurs de l’Internet souhaitent accéder aux divers marchés nationaux sans en accepter les systèmes fiscaux ni en respecter les législations sur la protection des données personnelles, pour y vendre ce qui semble bien être une marchandise addictive.

Si on prend l’exemple d’Uber, on dit que c’est une plate-forme d’intermédiation parce qu’au lieu de simplement percevoir un fermage elle conserve, organise et exploite toutes les données qu’elle reçoit sur ses chauffeurs et sur ses clients. Mais c’est encore une petite entreprise comparée aux GAFA. Il faut savoir que Google ou Amazon exploitent chacun des millions de serveurs à la surface de la terre, achètent des centrales hydroélectriques pour en assurer le fonctionnement, ils exploitent leurs propres réseaux de fibres optiques transocéaniques. Bref, derrière le commerce éthéré et en apparence immatériel des données il y a une industrie lourde. Amazon emploie 341 000 personnes dans le monde pour 136 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, Google 76 000 personnes pour 90 milliards (au nom de sa maison mère Alphabet).

Perspectives françaises et européennes

Si les grands acteurs français traditionnels, étatiques ou privés, semblent peu capables de tirer parti des gains de productivité considérables qui seraient permis par la numérisation généralisée des données administratives, économiques et culturelles, de nouveaux acteurs apparaissent qui obtiennent de grands succès. Nous n’en citerons que quelques-uns, mais le potentiel est énorme et le ticket d’entrée abordable.

C’est en effet un paradoxe de la révolution cyberindustrielle sous le régime de la concurrence monopolistique : les GAFA d’aujourd’hui sont des entreprises colossales, la production de composants électroniques de pointe nécessite des investissements considérables (les usines les plus récentes d’Intel ou de Samsung coûtent de l’ordre de quinze milliards d’euros chacune, il n’y a pas plus d’une vingtaine de telles usines dans le monde, dont celle du franco-italien STMicroelectronics à Crolles près de Grenoble), mais il est aussi possible, grâce au logiciel libre et à la disponibilité d’ordinateurs sur une carte (System on Chip, SoC) pour moins de dix euros logiciel compris, de démarrer une activité avec une mise de départ relativement faible.

Pour l’industrie des données les entreprises françaises déjà solides sont, par exemple, OVH, Gandi et Iliad. Si Iliad (la maison-mère de Free) a réinvesti les revenus d’une activité antérieure sur Minitel, OVH et Gandi sont partis pratiquement de zéro. Ces trois acteurs sont notamment solidement présents dans le secteur en plein essor de l’informatique en nuage (Cloud Computing), à la différence des attributaires de projets étatiques de « cloud souverain » dont les gesticulations impuissantes n’éviteront pas l’échec.

Il faut saluer aussi le succès du site d’annonces gratuites LeBonCoin.fr, qui dame le pion au leader mondial eBay, qui chaque mois enregistre plus de 20 millions de visiteurs, et qui est en outre le premier fournisseur d’offres d’emploi en France, plus efficace que Pôle Emploi, spécialement pour les PME. LeBonCoin.fr a malheureusement connu le sort de beaucoup d’entreprises françaises prometteuses qui n’ont pas trouvé sur place les moyens financiers de leur développement, elle a été rachetée par des investisseurs norvégiens, alors que Withings, à la pointe dans le domaine des objets connectés, a été racheté par Nokia.

Moins visibles mais prometteuses, citons aussi Quinten pour la consolidation de données de santé (essais cliniques, études post-AMM, chimie médicinale), et Spallian qui met en forme les données brutes élaborées par l’Insee et élabore sur cette base des informations utilisables par les entreprises. Ariana Pharma, issue de l’Institut Pasteur, est spécialisée dans le diagnostic du cancer.