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Une architecture en couches pour le cyberespace
Pour le concevoir
Article mis en ligne le 13 mars 2014
dernière modification le 29 avril 2015

par Laurent Bloch

Nous pouvons définir le cyberespace comme l’ensemble des données numérisées (logiciels et documents textuels, sonores, graphiques ou visuels) disponibles sur l’Internet et des infrastructures matérielles et logicielles qui leur confèrent l’ubiquité.
Au cours du travail de l’atelier du Forum de gouvernance de l’Internet 2014 intitulé Cyberstratégie : quelle gouvernance pour quels risques, nous avons proposé un modèle en couches pour le représenter et le modéliser.

Qu’est-ce que le modèle en couches ?

Il ne faut pas se méprendre : le modèle en couches, avant d’être employé à la création de systèmes ou de réseaux concrets, est utile pour comprendre des systèmes et des réseaux.

L’architecture en couches, inventée par Edsger Wybe Dijkstra pour son article The Structure of the "THE" Multiprogramming System, est un modèle destiné à se représenter intellectuellement les choses par des abstractions. Ce modèle est utile pour « penser un objet dans lequel plusieurs logiques s’articulent » (Michel Volle), lorsqu’il faut séparer différents niveaux d’abstraction. Pour un système d’exploitation, par exemple, on nommera couches basses les parties du système qui interagissent le plus directement avec le matériel de l’ordinateur, et couches hautes celles qui sont plus proches de l’utilisateur. Il n’y a aucun jugement de valeur implicite dans ces expressions « couches basses » et « couches hautes ». Et la réalisation des couches basses est sans doute techniquement plus complexe, demande des compétences plus rares que celle des couches hautes, cependant que ces dernières exigent, outre des compétences techniques, des talents artistiques et une imagination digne d’un urbaniste.

Un des avantages majeurs d’une architecture en couches, c’est qu’elle autorise l’innovation technique dans une couche, sans avoir à se préoccuper de toutes les autres : principe cartésien de division de la difficulté en difficultés plus petites et donc moins difficiles.

Application du modèle aux réseaux

Encore plus que dans le monde des systèmes d’exploitation, le modèle en couches a connu le succès dans celui des réseaux informatiques, où les couches basses décrivent la transmission de signaux sur des supports physiques tels que câble téléphonique, faisceau hertzien ou fibre optique, tandis que les couches intermédiaires concernent l’acheminement de messages complexes à travers des réseaux à la topologie également complexe, et que les couches hautes traitent de la présentation de ces messages à travers une interface utilisateur, de l’identification de leur destinataire et de son authentification (ces derniers problèmes sont également traités par les systèmes d’exploitation, soit dit en passant). Les ensembles de règles et de conventions qui régissent les communications entre les couches de même niveau de plusieurs systèmes communicants constituent des protocoles de communication. Les règles et les conventions qui régissent les échanges entre une couche donnée et la couche immédiatement inférieure d’un même système constituent une interface.

L’architecture de réseau en couches la plus célèbre est le modèle Open Systems Interconnect (OSI) de l’ISO, dont l’auteur principal est Hubert Zimmermann, cité un nombre incalculable de fois.

On a beaucoup ironisé sur OSI : de ses sept couches, deux au moins sont presque toujours vides. L’Internet obéit à un modèle à quatre couches, plus pragmatiques. Sans doute aucun réseau opérationnel n’a-t-il jamais obéi à OSI. N’importe : ce qui compte, c’est que des milliers d’étudiants, d’ingénieurs et d’autodidactes, dont moi, ont enfin compris quelque-chose aux réseaux grâce à ce modèle d’architecture.

Quatre couches pour le cyberespace

Pour concevoir le cyberespace, j’avais d’abord pensé à deux couches, physique (les infrastructures) et logique (les données). Mais, assez vite, il fallut penser aux routeurs, à leurs tables de routage et au logiciel de commande, au DNS, c’est-à-dire à toutes ces choses qui sont des données mais dans l’infrastructure, ce qui m’a mené à l’idée d’une couche « commande et contrôle ».

Lors de la réunion préparatoire de l’atelier, Barbara Louis-Sidney, qui, elle aussi, avait eu l’idée de l’architecture en couches, proposa une couche physique, une couche logique et une couche cognitive, à laquelle je n’avais pas pensé, mais qui est bien sûr pertinente. La confrontation de nos idées déboucha donc sur un modèle à quatre couches, que voici :

  1. couche physique : les infrastructures, fibres optiques transocéaniques, IXP...
  2. couche commande et contrôle (C&C) : le DNS, BGP, les tables et les protocoles de routage, les logiciels qui les implémentent ;
  3. couche logique : les données publiées, les logiciels qui permettent d’y accéder et de les transformer ; serveurs Web, moteurs de recherche, navigateurs, Contents Delivery Networks, systèmes de chiffrement...
  4. couche cognitive : l’esprit et l’intellection des internautes, organisés par la sémantique et la syntaxe des interfaces d’accès à la couche logique.