Blog de Laurent Bloch
Blog de Laurent Bloch

ISSN 2271-3980
Cliquez ici si vous voulez visiter mon autre site, orienté vers des sujets informatiques et mes enseignements.

Pour recevoir (au plus une fois par semaine) les nouveautés de ce site, indiquez ici votre adresse électronique :

Albanie encore
Article mis en ligne le 24 octobre 2022
dernière modification le 31 octobre 2022

par Laurent Bloch

Chapitre précédent

Par un décret du 12 juin 1968, le Président de la République Charles de Gaulle dissout un certain nombre d’organisations politiques impliquées dans les événements de mai, au nombre desquelles le PCMLF dont j’étais membre. Celui-ci n’en continuera pas moins son activité sous divers prête-noms, son journal l’Humanité nouvelle deviendra l’Humanité rouge et je serai encore membre de son comité de rédaction, où je ferai la connaissance de Jean Dumont, éminent latiniste professeur à l’université de Nanterre. Cette dissolution suit de peu la nomination de Raymond Marcellin au ministère de l’Intérieur, où il va se distinguer par des mesures répressives assez brutales.

À notre grande surprise, nous n’avons jamais eu autant de succès. Nous sommes rejoints par des jeunes qui, après l’extinction du mouvement de Mai, cherchent à s’organiser pour le continuer. L’UJCML éclate en plusieurs tendances, Ligne rouge, Gauche prolétarienne, Vive la Révolution, et beaucoup de ses militants se joignent à nous. Dans le XVIIIème arrondissement, nous ne sommes que deux (Jean-Claude et moi) et nous voyons affluer une trentaine de membres ou sympathisants de l’UJCML, au nombre desquels Éric Panijel, dont j’aurai l’occasion de reparler.

Au début de 1969 naît l’idée (j’ignore dans quel cerveau, peut-être celui de l’Envoyé, Michel, toujours le même) d’organiser un voyage de jeunes sympathisants en Albanie ; j’en serai en quelque sorte le commissaire politique (heureusement il y aura quelqu’un de plus adulte que moi, Max, pour veiller aux questions pratiques). Afin de dissimuler cette expédition militante en voyage de vacances d’un groupe de jeunes, certaines précautions avaient été prises pour dissimuler notre destination. Ainsi avait été affrété un charter pour Vienne (loué à Austrian Airlines), où nous embarquions pour Tirana (si la police française faisait correctement son travail, ce stratagème n’avait pas dû la tromper longtemps).

Le groupe, près d’une centaine, est assez hétérogène, quelques ouvrières et ouvriers, une petite bande de lycéennes de l’aristocratique lycée Racine (huitième arrondissement de Paris), quatre ou cinq élèves d’HEC (très intéressants, intellectuellement curieux, assez matheux), une majorité d’étudiants plus ou moins en rupture universitaire : oui, le mouvement de Mai et plus particulièrement sa branche maoïste fut un massacre intellectuel.

Nous sommes fort bien reçus, mais quand même moins luxueusement que la petite délégation de 1967, nous ne sommes qu’un groupe de jeunes, pas tous membres du parti, après tout. Je retrouve le bel hôtel mussolinien de Durrës, nous irons à plusieurs reprises à Tirana, visiterons quelques usines, mais il n’y aura pas de voyage dans le sud du pays, si beau.

En principe mon rôle devrait être d’entretenir l’enthousiasme militant, mais il n’en est nul besoin, je serais même plutôt à la traîne, le climat de mobilisation s’entretient de lui-même, parfois jusqu’à la démesure. Un jour on nous emmène visiter le chantier de construction d’une ligne de chemin de fer, où de jeunes « volontaires » de notre âge consolident un remblai à coup de pelles, pioches et brouettes. Ils courent sous le soleil écrasant avec leurs brouettes. De notre groupe surgit bientôt la revendication de contribuer à l’édification du socialisme albanais : demande aussitôt satisfaite, on nous confie pelles et brouettes, nous courons, il ne faut pas dix minutes pour que tous les Français soient rétamés, effondrés au flanc du remblai, il faut nous apporter à boire.

Finalement c’était un séjour de vacances entre jeunes, beaucoup de discussions passionnées, j’espère qu’il n’aura pas suscité trop de vocations marxistes-léninistes, ou en tout cas qu’elles n’auront pas été durables. C’était un peu le bazar, et c’était aussi bien. Parmi les plus enthousiastes, une jeune ouvrière de la région parisienne, Annie-Laure, que je reverrai plus tard à Paris, ainsi qu’un étudiant de HEC devenu entre-temps militant du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) de Guy Hocquenghem.