Blog de Laurent Bloch
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Syngué sabour, Pierre de patience
Un film d’Atiq Rahimi
Article mis en ligne le 18 mars 2013
dernière modification le 7 mai 2013

par Laurent Bloch

Syngué sabour est un film germano-franco-afghan d’Atiq Rahimi, auteur du roman de même titre qui avait obtenu le prix Goncourt en 2008. Après avoir vu le film, j’ai lu le livre. L’avantage d’adapter soi-même son roman au cinéma, c’est la fidélité de l’adaptation, qui n’est pas garantie, mais là c’est le cas. La puissance érotique du texte est supérieure à celle du film, c’est inhérent à l’écriture, qui l’emporte ici sur l’image, mais le film est magnifique et enrichit d’évocations le texte, bref il faut voir le film et lire le livre.

Il n’y a pas tant d’écrivains capables d’être écrivains dans une langue qui ne soit pas leur langue maternelle. Il y a les écrivains de langue française des anciennes colonies françaises, de Senghor à Ahmadou Kourouma, qui avaient appris à lire et à écrire en français. J’ai entendu à la radio George Steiner mentionner Conrad, Nabokov, Borges : Rahimi vient s’ajouter à cette confrérie.

Syngué sabour est l’histoire d’une jeune mère de deux petites filles dans une ville en pleine guerre civile, qui pourrait être Kaboul. Son mari, qui était un guerrier redouté dans une faction de miliciens, a reçu une balle dans la nuque, il est dans le coma, elle le nourrit avec du sérum. On entend à tout moment des explosions et des rafales, les miliciens de toutes factions s’entretuent et massacrent des civils qui leur tombent entre les mains.

L’héroïne, dont le rôle est tenu par Golshifteh Farahani, formidable, est plongée dans le désarroi ; sans ressources, elle doit nourrir ses filles et faire survivre son mari dans une ville où l’eau plus ou moins potable ne parvient que lorsque le porteur d’eau n’a pas trop peur des balles perdues. Après un épisode guerrier particulièrement violent, elle envisage d’abandonner son logement et de se réfugier chez sa tante, une femme indépendante qui, après avoir été fort mal traitée par les hommes, prend sa revanche avec cynisme. Mais elle retourne chez elle et entame, face à son mari à qui elle s’adresse dans son coma, un monologue autobiographique qui devient au fil des plans un magnifique poème. Son père n’a pas hésité à marier sa fille aînée, de douze ans, à un homme de quarante ans, pour régler une dette de jeu, quant à son mari il était surtout absent, même à son mariage.

Lors d’une nouvelle irruption de miliciens, elle n’échappe au viol qu’en prétendant être une prostituée, après avoir dissimulé son mari derrière un rideau. Mais un jeune milicien naïf la prend au mot et revient chez elle dans l’espoir de perdre sa virginité, ce qui fut fait. Petit à petit elle s’attache plus ou moins à ce garçon qui revient de temps en temps. Il est bègue et jouit trop vite : la tante en déduira « qu’il n’a qu’à parler avec sa queue et baiser avec sa langue » (sic !).

Le film est tourné au Maroc, avec quelques plans d’ensemble de Kaboul. La photo est magnifique, la scénographie rythmée par les allées et venues de la femme, qui enfile et retire sa burqa. L’auteur dit qu’il s’est donné beaucoup de mal pour obtenir de l’équipe technique une couleur bleue conforme à sa vision, parce que le bleu passe mal en numérique, mais que c’est une couleur symbolique de liberté. C’est au total un hymne bouleversant à la femme afghane.

Je ne trahirai pas le dénouement, mais il faut voir ce film.


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