Parfois je traverse le Périphérique, le plus souvent en train ou en métro, mais parfois à pied, à une époque je le faisais deux fois par jour pour rejoindre les locaux de mon employeur, l’Insee, à la Porte de Vanves. Mais il y a des endroits où c’est plus difficile.
Ce matin je suis allé assister à OVH Summit à la Plaine Saint-Denis, manifestation fort intéressante d’une entreprise fort estimable. Le bus m’a déposé Porte de la Chapelle, à 200 m du but, et de là il me fallait franchir le périphérique pour atteindre l’Avenue du Président Wilson à Saint-Denis. J’ai trouvé idiot d’attendre un autre bus pour un trajet si court, j’ai traversé le boulevard Ney et me suis dirigé vers le Nord.
En arrivant devant l’échangeur de l’autoroute A1 avec le Périphérique, il m’a fallu constater que mon projet était irréalisable, en tout cas en respectant le code de la route. Tous les chemins envisageables étaient précédés d’un panneau signifiant « Interdit aux piétons ». Il y avait juste un embryon de trottoir qui semblait descendre dans des profondeurs improbables, peu engageant. Face à moi, sur une sorte de trottoir en provenance de Saint-Denis, de malheureux collégiens, cartable sur le dos, débouchaient sur un promontoire entre le flux de voitures vers l’autoroute et celui vers le Périphérique, sans l’ombre d’un passage pour piétons, et néanmoins ils traversaient, au risque de leur vie. Cet échangeur est en effet un des plus fréquentés d’Europe, le trafic est effrayant.
Ce qui se passe sur la chaussée est effrayant, mais ce qui se passe sur le trottoir n’est pas forcément plus rassurant. À huit heures du matin les dealers n’ont pas encore regagné leur poste de travail, alors leurs clients en manque, pliés en quatre, les attendent, dans un état épouvantable. Dans cet état, un être humain est prêt à tout.
Lorsque je m’apprêtais à rebrousser chemin pour trouver un moyen de transport, un pilote de scooter s’est arrêté à ma hauteur pour me demander comment atteindre l’Avenue du Président Wilson. Je lui indiquai la direction, et lui demandai s’il n’allait pas chez OVH : il me répondit que oui, me proposa aimablement de m’emmener sur son engin, et ainsi j’atteignis les Docks de Paris, lieu, au demeurant fort agréable, de l’OVH Summit.
Au retour, je décidai de sortir de l’autre côté, vers la Porte d’Aubervilliers. Le franchissement du Périphérique est plus aisé, mais la zone (dans tous les sens du terme) est dans un état d’abandon épouvantable. J’ai vu de nombreuses affichettes, émanations du Parquet du tribunal de Bobigny, pour appel à témoignage après agression dans les parages.
J’avisai un arrêt de bus, dont l’itinéraire promettait de me ramener dans la direction souhaitée. Alors que j’attendais, un jeune habitant du lieu m’adressa la parole pour me demander le moyen d’atteindre le boulevard Magenta. Je lui dis que le bus devrait lui permettre d’atteindre cet objectif, et nous embarquâmes. Rue Marx Dormoy, l’embouteillage était tellement dense que je descendis au coin de la rue du Département, et lui aussi. Il me redemanda quelques renseignements topographiques. En fait, je pense qu’il souhaitait surtout établir un minimum de lien social avec un individu visiblement étranger à cette zone de déréliction absolue où il vivait. Comment peut-on espérer que des gens qui vivent dans de telles conditions éprouvent un sentiment de plénitude citoyenne ?
Le Périphérique est vraiment une barrière quasi-infranchissable, destinée à empêcher les banlieusards de venir trop facilement à Paris. Cela finira mal.