La Douleur est à mon avis le plus beau texte de Marguerite Duras (avec peut-être L’Après-midi de Monsieur Andesmas), mais ce n’est pas vraiment un texte littéraire, ni non plus d’ailleurs autobiographique, en tout cas c’est une lecture éprouvante, il faut parfois s’accrocher à la table pour continuer. Emmanuel Finkiel en a fait un film très fidèle au livre, dont il omet avec raison les passages les plus insoutenables, et auquel il ajoute, par souci de clarté narrative, des emprunts à un autre texte de Duras.
Pendant la guerre Marguerite Duras est mariée à Robert Antelme, ils appartiennent tous les deux à un mouvement de Résistance où ils côtoient notamment François Mitterrand, Edgar Morin et Dionys Mascolo. Le groupe tombe dans un guet-apens, Robert Antelme est arrêté le 1er juin 1944 et envoyé à Buchenwald. De sa déportation il écrira le récit, L’Espèce humaine, qui est peut-être le premier livre que des adolescents devraient lire pour comprendre l’univers des camps nazis.
Marguerite, rongée d’angoisse, fait le tour des bureaux de la Préfecture de police pour savoir ce qui est arrivé à Robert. Elle rencontre un agent français de la Gestapo, Pierre Rabier, dont elle espère obtenir des informations, peut-être même éviter la déportation de son mari. Rabier joue avec elle comme un chat avec une souris. Il l’invite dans des restaurants chics dont la clientèle collaborationniste ou du marché noir ignore tout du rationnement (le débarquement de Normandie la fera plonger dans l’angoisse à son tour).
Vient la Libération : les premiers survivants de déportation reviennent, ils sont regroupés à l’hôtel Lutetia, Marguerite y va chaque jour, scrute les arrivants, en vain. Robert Antelme sera finalement sauvé par François Mitterrand, qui pourra par ses relations mobiliser une voiture, des bons d’essence et les laisser-passer nécessaires pour aller le chercher à Dachau, où il etait sur le point de mourir du typhus.
Mélanie Thierry est bouleversante dans le rôle de Marguerite, le film d’Emmanuel Finkiel parvient de façon étonnante à restituer l’atmosphère étouffante d’angoisse du livre, avec ses silences et ses explosions de désespoir ou de colère. Le défi n’était pas facile à relever, d’autant plus que Marguerite Duras était elle-même une grande cinéaste.