Blog de Laurent Bloch
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Un film marocain de Alaa Eddine Aljem :
Le Miracle du Saint inconnu
Article mis en ligne le 6 janvier 2020

par Laurent Bloch

La bande annonce du film Le Miracle du Saint inconnu suggère une comédie burlesque avec intrigue policière, un peu à la Jean-Pierre Mocky : il y a de ça, mais il y a bien autre chose dans ce film d’Alaa Eddine Aljem, sous les aspects burlesques, une vraie profondeur dramatique. Au début, un petit malfrat fuit la police avec dans un sac les billets du casse qu’il vient de perpétrer. Quand sa voiture tombe en panne, il escalade une colline, enterre son magot et camoufle cette cachette en tombe entourée de simples pierres. Quand il redescend de la colline, la police arrive et l’arrête.

Quelques années plus tard, le voyou sorti de prison vient chercher son butin, mais il a une surprise désagréable : les villageois d’à côté ont découvert la fausse tombe, ont cru qu’elle abritait un Saint inconnu, ont construit un mausolée autour pour la protéger et l’honorer, et au pied de la colline s’est créé un mini-Lourdes, avec vente de souvenirs et de rafraîchissements, hôtel, restaurant, accueil de pèlerins et tutti quanti. La plupart des habitants du village agricole traditionnel, situé un peu plus loin, ont déménagé vers la colline pour profiter de la manne (modeste) des pèlerins, sauf le vieux Brahim, qui veut rester fidèle à sa vocation paysanne malgré l’aridité terrifiante d’un paysage où n’apparaît pas le moindre brin d’herbe.

Cette présence jour et nuit autour du mausolée de toutes sortes de personnages, pèlerins, marchands de souvenirs, un gardien auto-proclamé et son berger allemand, fait obstacle au désir du voleur de récupérer son butin. Il prend une chambre d’hôtel au nouveau village et convoque un complice, une vieille connaissance de prison. On assiste à l’arrivée d’un jeune médecin, affecté au dispensaire local, où il ne tardera pas à s’enfoncer dans la léthargie générale et à distribuer des placebos à des dames désœuvrées, avec l’assistance d’un infirmier qui depuis des années perfectionne sa recette de gnôle artisanale à partir des substances de la pharmacie. Plutôt que chez le médecin, les hommes tuent le temps chez le barbier, qui à l’occasion saura fabriquer des dents en or pour le chien du gardien de mausolée. Ces dents en or seront d’ailleurs un obstacle au rôle du gardien, parce qu’il sera désormais obligé de mettre le chien sous clé et de le surveiller pour qu’on ne vienne pas voler ses belles prothèses. Il y a aussi les ouvriers d’un improbable chantier, qui font exploser des cartouches de dynamite.

On rit beaucoup, mais à chaque fois avec la conscience que l’épisode burlesque de l’instant en dit long sur une société en panne de croyances et de projets. Les personnages s’ennuient tellement que le moindre incident mobilise tout le monde. Les croyances traditionnelles et les superstitions qui les accompagnent restent le seul point d’ancrage, mais elles ne suffisent pas à remplir les journées.

Tout cela est fort bien filmé, le plus souvent en plans fixes au cadre très étudié. On est, heureusement, loin de cette mode ridicule de “shaky camera” qui fait dire au personnage joué par Catherine Deneuve dans « La Vérité » de Hirokazu Kore-eda « C’est vraiment si cher que ça, un pied de caméra ? ». La fin est, d’une certaine façon, heureuse, morale, sans qu’aucun personnage soit rabaissé ou maltraité, même si certains n’échappent pas à une petite dose de ridicule. Bref, Alaa Eddine Aljem filme conformément aux principes que je défends : un metteur en scène doit respecter trois catégories de gens, ses personnages, ses acteurs et ses spectateurs.


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