Blog de Laurent Bloch
Blog de Laurent Bloch

ISSN 2271-3980
Cliquez ici si vous voulez visiter mon autre site, orienté vers des sujets informatiques et mes enseignements.

Pour recevoir (au plus une fois par semaine) les nouveautés de ce site, indiquez ici votre adresse électronique :

Juifs, Palestiniens, années 1970
Article mis en ligne le 25 octobre 2022
dernière modification le 11 novembre 2022

par Laurent Bloch

Chapitre précédent

Au début des années 1970 souffle l’esprit post-soixante-huitard. Le mouvement de Mai avait mis en pleine lumière un certain nombre d’archaïsmes politiques et culturels de la société française, et cette contestation n’est pas du goût de tout le monde. Le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin met en place une politique répressive franchement anti-démocratique. Il y a aussi une vague de crimes racistes, des assassinats de travailleurs arabes, plusieurs dizaines. C’est alors qu’est créé le Mouvement des travailleurs arabes, proche de la Gauche prolétarienne d’Alain Geismar, Benny Lévy et Robert Linhart.

En même temps la situation au Moyen-Orient est explosive. En 1970 les mouvements palestiniens organisent plusieurs détournements d’avions en Jordanie, après quoi l’armée jordanienne les réprime violemment lors des combats de « Septembre noir » et finalement les repousse vers le Liban. En 1972 c’est la prise en otages des athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich, au dénouement tragique (17 morts). Quelque jugement que l’on puisse porter sur cette prise d’otages, reste un fait : avant Munich, la plus grande partie de l’opinion publique mondiale ignorait jusqu’à l’existence des Palestiniens, après Munich il ne sera plus possible de la nier, comme le faisaient couramment le gouvernement israélien et les gouvernements occidentaux.

C’est en représailles après Munich que les services secrets israéliens organisent l’assassinat de plusieurs responsables palestiniens, dont le représentant en France de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), Mahmoud Hamchari ; victime le 8 décembre 1972 d’une bombe placée à son domicile, il meurt le 9 janvier suivant. La veille de l’attentat, la police française a interpellé en bas de l’immeuble deux hommes, munis de passeports diplomatiques israéliens et détenteurs de matériels de mise à feu d’explosifs, mais l’enquête ne s’appesantira pas sur cette coïncidence. D’autres assassinats jamais élucidés suivront, ceux du dramaturge et militant algérien Mohamed Boudia et du Palestinien Mahmoud Saleh.

Steven Spielberg a consacré à ces événements un de ses plus mauvais films, Munich, où il épouse sans recul la position des services secrets israéliens. Il y montre Mahmoud Hamchari vivant dans un appartement luxueux de la Porte de Passy, alors qu’il avait un petit appartement dans un quartier très ordinaire. Le rôle de son épouse est interprété par Hiam Abbass, qui a aussi conseillé certains aspects de la mise en scène : ce n’est pas là qu’elle fut la mieux inspirée, même si cela aurait sans doute été pire sans elle.

Une des sources sous-estimées de Mai 68 est le mouvement anti-colonialiste qui avait surtout pris son essor en réaction à la guerre d’Algérie. La revue Révolution créée en 1963 par Jacques Vergès en était un porte-parole. L’opposition à la guerre du Viêt Nam joue aussi un rôle important. On pourra lire à ce propos le livre déjà cité de Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures (Complexe éd., 2005).

En 1956 j’ai huit ans, la guerre d’indépendance de l’Algérie bat son plein. Nous sommes en vacances à Merlimont, le bulletin d’informations de la radio nationale diffuse son refrain quasi-quotidien : « En Grande Kabylie, accrochage entre les forces de l’ordre et les rebelles, vingt-six rebelles ont été mis hors de combat ». Nourri de patriotisme scolaire, je me réjouis de ce succès français, mais mon père me reprend et m’explique que l’Algérie n’est pas la France, mais un pays différent que les Français ont colonisé sans droit, que les Algériens sont dans leur plein droit en combattant pour leur indépendance, bref, que c’est eux qui ont raison. Je crois que c’est la seule occasion où j’aie entendu mon père dévier de l’orthodoxie du PCF, qui était loin de soutenir l’idée d’une indépendance de l’Algérie. Au-delà de toutes nos dissensions ultérieures, je lui suis reconnaissant de cet enseignement anticolonialiste auquel je resterai fidèle jusqu’à aujourd’hui.

Dans le bouillonnement politique des années 1960 où convergent plusieurs mouvements anti-impérialistes, Viêt Nam, Palestine, Algérie, sans oublier les mouvements anti-colonialistes d’Afrique, la question de la Palestine ne peut manquer de solliciter les militants juifs, dont j’étais. En 1965, le soir des résultats du bac, mon camarade guinéen, Kalifa, qui sera plus tard témoin de mon premier mariage, me fournit des explications historiques et géographiques éclairantes sur la question de Palestine. Le projet sioniste ne peut me satisfaire.

Un groupe de juifs contestataires de la politique israélienne, anti-sionistes [1] donc, apparaît dans la mouvance de la Gauche prolétarienne, pour rapidement prendre ses distances avec celle-ci, d’ailleurs en voie d’extinction (nous sommes en 1972). Au sein de ce groupe, Éric Panijel, un ancien « établi » de l’UJCML, présente sans aucun doute la réflexion la plus approfondie, en tout cas je lui dois la plupart de mes idées sur ce que c’est qu’être juif. J’y rencontre aussi Ruth Chicheportiche, native de Bou Saâda, que j’épouserai en 1974, et aussi Assia Melamed [2] et Christian Vercautereen, fils d’une mère juive qui a perdu sa famille pendant la guerre et s’est remariée à un Flamand. Christian a été pendant son adolescence le protégé du psychanalyste Stanislas Tomkiewicz, qui l’avait mis sur la voie de son identité juive, et sur beaucoup d’autres pistes intellectuelles et culturelles. Par son entremise j’ai moi aussi bénéficié de l’enseignement de Tomkiewicz, grand psychiatre et psychothérapeute d’enfants et d’adolescents à la dérive, homme de vaste culture, juif anti-sioniste, dont il faut lire l’autobiographie, L’adolescence volée, du ghetto de Varsovie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et à l’Inserm en passant par Bergen-Belsen.

Le groupe tient des réunions de réflexion auxquelles viennent assister des personnalités aussi diverses que Maxime Rodinson, Eli Lobel, Sami Frey, l’auteur dramatique Victor Haïm, Georges Moustaki, et d’autres juifs qui n’hésitent pas à manifester pour la cause palestinienne plus qu’une simple empathie. Puis Éric quitte la France, le groupe se disperse, je ne continue à voir que Ruth, Christian, Assia, et quelques nouveaux que je ne nommerai pas parce que je ne puis leur en demander l’autorisation.

Bien sûr, pour être fidèles à nos idées, il ne faut pas que notre cercle, que nous appelons « Les Radis noirs » par référence à quelque tradition gastronomique d’Europe centrale, soit réservé aux Juifs et fermé aux Gentils [3] : nous tentons d’en attirer quelques-uns, mais sans grand succès.

Le jour de Yom Kippour 1973, un samedi, je suis à la mairie du sixième arrondissement, puis à l’église Saint-Germain des Prés, au mariage d’un petit-cousin avec la fille d’un diplomate espagnol ; son frère aîné a préconisé que nous fassions du scandale dans l’église pour protester contre cette christianisation en brandissant des rouleaux de la Torah, mais c’était idiot et nous nous sommes dégonflés. En rentrant, Ruth m’ouvre la porte en m’annonçant « c’est la guerre ». Ce n’est pas le début d’une crise conjugale, mais vraiment la guerre entre Israël, l’Égypte et la Syrie.

La guerre d’octobre 1973 va inciter de nombreux jeunes juifs à s’interroger sur le sionisme, Israël, la Palestine. Il y a des réunions fiévreuses à la Maison Verte dans le XVIIIème arrondissement, à la Cité des Arts, au centre de la rue Jean Calvin, avec jusqu’à 300 participants, alors que notre petit groupe n’avait jamais atteint un nombre à deux chiffres. C’est lors d’une de ces réunions que je ferai la connaissance de mon ami égyptien Pierre Wissa Wassef, venu annoncer au groupe l’emprisonnement de son collègue mathématicien et ami Marius Schattner, juif incarcéré en Israël pour avoir refusé la conscription.

Entre temps, nous allons en juillet 1973 à un meeting consécutif à l’assassinat (jamais élucidé) de Mohamed Boudia, où Marcel Moiroud prend contact avec nous pour nous proposer de participer à la rédaction du bulletin hebdomadaire Palestine Information. Ce bulletin tire à quelques centaines d’exemplaires, entièrement fabriqués et mis sous enveloppe à la main. Le rédacteur en chef en est Jean Baubérot, historien et sociologue du protestantisme et de la laïcité, plus tard professeur à l’École pratique des Hautes Études (EPHE), puis président de cette École. Ruth, Éric et moi nous rendons chez les Moiroud, rue d’Alembert. En fait Éric s’apprête à partir pour un mois ou deux aux États-Unis, son voyage durera finalement plus d’un an et le conduira jusqu’au Vénézuela, quand il reviendra seuls Ruth et moi aurons rejoint Palestine Information, et les Radis noirs se seront dispersés.

Marcque (1917-1994) et Marcel (1924-2012) Moiroud sont un couple militant issu de la Résistance et du milieu des compagnons de route du PCF, Mouvement de la Paix, Union des Chrétiens progressistes. Au milieu des années 1950 ils s’engagent dans le soutien à la Révolution algérienne, plus tard dans les Comités Viêtnam et le mouvement de Mai 1968. C’est sans surprise qu’on les trouve aux côtés des Palestiniens. Ils seront pour moi des amis chers, pour ne pas dire des parents de substitution, jusqu’à la fin.

La teneur du bulletin Palestine Information est une revue de presse : chaque membre de l’équipe lit chaque jour un ou deux journaux quotidiens, y relève tout ce qui a trait de près ou de loin à la Palestine, au Moyen-Orient, ou aux débats politiques et idéologiques qui s’y rapportent. Nous changeons régulièrement : après quinze jours du Parisien libéré, on passe à Libération ou au Figaro. En tout cas, la lecture systématique et critique de la presse française, orientée sur un sujet sensible, est un exercice d’une cruauté salubre : depuis cette époque je ne lis plus les journaux. La hiérarchie de l’honnêteté n’est pas ce que l’on pourrait imaginer : ainsi, le Figaro a un excellent spécialiste du monde arabe, Thierry Desjardins qui, avec Éric Rouleau du Monde et quelques autres, se distingue nettement de la masse des folliculaires approximatifs et tendancieux. Mais le journal français le plus objectif est quand même le New York Herald Tribune.

Chaque lundi soir, nous nous réunissons à la Librairie Palestine, 24 rue de la Réunion près de la place de la Nation à Paris, et chacun soumet son travail. Marcel et Jean sont les plus mûrs d’entre nous, les plus cultivés et les plus savants aussi, beaucoup d’entre nous (dont moi) sont encore mal dégagés d’une idéologie sommaire plus ou moins maoïste. Ils nous aident, avec compréhension mais fermeté, à évoluer vers une pensée plus complexe, mieux informée, plus respectueuse de la réalité. Nous avions aussi des discussions avec des Palestiniens, notamment Ezzedine Kalak, que j’avais déjà bien connu lorsqu’il était étudiant à Poitiers, et qui devint le représentant de l’OLP à Paris, et un ami très présent des Moiroud, jusqu’à son assassinat à Paris en 1978, commandité par le gouvernement irakien et exécuté par deux Palestiniens.

Ezzedine Kalak a été assassiné le 3 août 1978 avec son assistant Adnam Hammad dans son bureau de la Ligue arabe, boulevard Haussmann, par Assad Kayed et Husni Hatem, membres du Front du refus d’Abou Nidal. La veille avait eu lieu une prise d’otages à l’ambassade d’Irak au cours de laquelle un employé de l’ambassade avait abattu un policier français. Comme cet employé avait le statut de membre du corps diplomatique, il avait été expulsé vers Bagdad. Mais, pour des raisons qui m’échappent, les officiels irakiens voulaient se venger de la France, et ils pensaient que tuer Ezzedine Kalak répondrait à cette objectif. Ils ont recruté à cet effet deux Palestiniens sans cervelle à qui ils ont fait croire qu’ils seraient eux aussi conduits directement à l’aéroport après le meurtre, ce pourquoi ils ont paradé au balcon du bureau de leurs victimes en faisant le V de la victoire après l’accomplissement de leur crime. Ils furent condamnés à quinze ans de réclusion criminelle et libérés en février 1986, après quoi leur expulsion du territoire français posa un problème, parce qu’il fallait trouver un pays qui veuille bien les accepter (on pense que ce fut la Syrie). C’est Khemais Chammari, militant tunisien pour la démocratie, à l’époque journaliste à Paris, futur ambassadeur de son pays auprès de l’Unesco, qui m’a appris les circonstances de cet assassinat. Serge Le Péron a réalisé en 1979 un film intitulé Ezzedine Kalak. Ezzedine était un homme d’une droiture et d’une humanité remarquables, les commanditaires de son assassinat ne s’étaient pas trompés.

Hormis Jean et Marcel, le comité de rédaction de Palestine Informations est composé de jeunes militants peu expérimentés, mus par le sentiment de rendre justice aux Palestiniens durement spoliés de leur patrie. Je puis témoigner que je n’y ai jamais entendu le moindre écart de langage qui aurait pu laisser craindre un penchant antisémite. L’idée qui nous anime, assez illusoire il faut bien en convenir, est celle d’une Palestine « laïque et démocratique » où Juifs et Palestiniens vivraient en bonne entente. En 2022 j’observe que la politique israélienne de colonisation et d’annexions a retiré tout crédit à la « solution à deux États » imaginée lors des accords d’Oslo en 1993, et remis à l’ordre du jour l’idée d’un État binational.

Au printemps 1974, une bonne partie du groupe décide de passer au moins une partie du mois d’août au Liban, pour y prendre des contacts plus approfondis avec les Palestiniens, dont les organes représentatifs sont installés à Beyrouth depuis qu’ils ont été chassés de Jordanie. Je viens d’épouser Ruth, ce sera notre voyage de noces. À l’aller le vol nous offre une vue magnifique des îles de la Mer Égée et de Chypre, au retour ce sera une autre affaire parce qu’entre temps l’armée turque aura envahi Chypre, et que toute la zone sera interdite au trafic aérien.

En même temps que nous, une équipe du département Cinéma de l’université de Vincennes (Paris 8) a fait le voyage pour tourner un film sur les Palestiniens, L’Olivier. Il y a là Danièle Dubroux, Dominique Villain, Ali Akika, Jean Narboni, Serge Le Péron, Guy Chapoullié, les réalisateurs-opérateurs-ingénieurs du son, le film sortira en 1976 et on peut encore le voir de temps en temps à la télévision. Les tournages dans les rues de Beyrouth sont parfois assez peu académiques. Nous sommes souvent à leurs côtés, nous sommes invités au congrès de l’Union des Femmes palestiniennes qui se tient à Beyrouth. Nous y rencontrons Yasser Arafat, à qui l’on indique que nous sommes juifs et qui vient spécialement embrasser Ruth. On nous emmènera également visiter une base d’entraînement du Fatah, dans les environs de Rachaya, au sud du pays. Une grande partie du temps nous logeons à l’auberge de jeunesse de l’Université américaine, tenue par des Arméniens ; c’est un endroit magnifique, à l’ouest de la ville (la partie musulmane sunnite), avec un grand parc arboré qui descend en terrasses vers la mer. Nous hantons les pizzerias de la Corniche Mazraa, nous y rencontrons Sorj Chalandon et Élie Cohen, dit Élico, en mission pour Libération, que Ruth connaît bien et avec qui nous passons quelques soirées.

Au bout de quinze jours nous décidons de visiter la Syrie : il suffit de prendre un taxi place des Martyrs, puis la route de montagne par Zahlé, trois heures plus tard on est à Damas. On passe de l’Orient américanisé à l’Orient soviétisé. Les quartiers de Damas épargnés par les architectes et les maîtres d’œuvre formés à Moscou sont assez beaux, la mosquée des Omeyades mérite le déplacement, nous irons à Quneitra, chef-lieu du Golan (une heure de car), à notre étonnement c’est un lieu d’excursion populaire parmi la population damascène, qui vient voir les drapeaux israéliens flotter sur la ligne de crête. Toujours en car, la prochaine étape sera Alep, puis Lattaquié, au bord de la mer. La route d’Alep à Lattaquié longe la frontière turque, ce qui était le sandjak d’Alexandrette (Iskanderun en turc), et nos compagnons de voyage, qui ont bien compris que nous étions français, nous font remarquer, sans aucune acrimonie, que c’était la plus belle province syrienne, cédée par la France à la Turquie en 1939 sans autre raison que d’éviter une très improbable alliance germano-turque. C’est vrai que, vu de la fenêtre du car, c’est bien plus verdoyant que les autres paysages que nous avons traversés, assez steppiques. Nous traversons l’Oronte, un peu décevant en cette saison. De Lattaquié le retour à Beyrouth se fera en taxi par la route côtière. Je vous épargne les détails touristiques, d’autant plus que je n’ai eu droit ni à Palmyre, ni à Ugarit, ni au Krak des Chevaliers, visites trop petites-bourgeoises. À une terrasse le long du port de Lattaquié j’ai pris une des plus belles cuites de ma vie en compagnie d’un officier de cavalerie syrien, impressionné par ma connaissance des chars soviétiques, fruit de mon instruction militaire. La Syrie ressemble énormément à l’Albanie, en plus riche et plus moderne : mêmes types humains, même hospitalité méditerranéenne, mêmes breuvages alcoolisés. Mais Damas est équipé de pâtisseries fabuleuses, parfois une rue entière, dont on chercherait en vain l’équivalent à Durrës ou à Tirana.

En 2022 l’évocation de ce pays, à l’époque accueillant malgré son dictateur (père de l’actuel), est forcément accompagnée de tristesse. Je dois dire que durant notre voyage partout nous sommes bien reçus, sans rencontrer aucune manifestation d’hostilité, alors qu’aucun Syrien ou Libanais, en apercevant Ruth, ne peut ignorer qu’elle est juive (mon cas est plus douteux). Notre nationalité française aurait également pu être l’objet de quelque ressentiment, parce que le colonialisme ne s’est pas mieux conduit là-bas qu’ailleurs, et que beaucoup des problèmes qui ensanglantent régulièrement ces deux pays sont consécutifs à la politique coloniale française. Mais non, tous ceux que nous rencontrons entonnent les louanges du Général de Gaulle, et à notre stupéfaction la chanteuse préférée des jeunes est Mireille Mathieu, qu’ils écoutent sur Radio Monte-Carlo qui émet depuis Chypre.

À la toute fin du mois d’août, retour à Paris. Dans le taxi qui nous mène à l’aéroport de Beyrouth, en traversant le quartier principalement musulman chiite de Bourj Brajneh, nous entendons quelques rafales d’armes automatiques ; le chauffeur nous rassure, c’est très banal. Quelques mois plus tard éclatera la guerre civile, qui durera une quinzaine d’années. On comptera entre 130 000 et 250 000 victimes civiles (pour un pays de moins de cinq millions d’habitants à l’époque).

Notre militantisme pour la Palestine trouve son prolongement en 1976 par l’organisation d’un colloque au Centre protestant de l’Ouest (CPO), à Celles-sur-Belle dans les Deux-Sèvres. Jean Baubérot en est à l’initiative. Le directeur du CPO, Jean-Pierre Charpié, pasteur de Pamproux, est tout de suite d’accord. Les réunions préparatoires se tiennent à l’Institut de théologie protestante, boulevard Arago. Il nous apparaît rapidement qu’il serait difficile de tenir un colloque sur la Palestine sans souffler mot du Liban, où se déroule une guerre civile dont la question palestinienne est un enjeu.

Les orateurs du colloque seront Jean Sapin, spécialiste de l’histoire de l’ancien Israël et de la Palestine antique, l’historien Philippe Daumas sur le mandat britannique, Jean Baubérot, Claude Reynaud, le sociologue libanais Joseph Chahine sur le thème « Occident, Islam et laïcité », l’universitaire palestinien Bichara Khader, le sociologue libanais Salim Nasr, Hicham Moustafa, ancien responsable de l’Union générale des étudiants palestiniens, l’économiste Georges Corm, futur Ministre des Finances du Liban, le kabbaliste Emmanuel Lévyne et moi-même. Ce seront deux jours de discussions intenses, pas toujours conformes aux standards académiques, mais dont chacun sortira avec de nouvelles idées, un rafraîchissement de ses idées anciennes et une liste de livres et d’articles à lire de toute urgence.

Les actes du colloque seront édités par l’Harmattan sous le titre Palestine et Liban : Promesses et mensonges de l’Occident.

Pour conclure cet épisode, force est de constater que les attentats contre la synagogue de la rue Copernic en 1980 et contre la brasserie Goldenberg de la rue des Rosiers en 1982, qui visaient explicitement des Juifs en tant que tels, ont considérablement réduit la capacité des Palestiniens à rallier beaucoup de Juifs à leur cause. De même que la seconde Intifada et ses attentats aveugles contre des civils israéliens a signé l’arrêt de mort de la gauche israélienne plus ou moins disposée à des compromis territoriaux.