Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Commentaire 149 printemps 2015
Le Front national par les textes, le terrorisme par le renseignement...
et bien d’autres choses encore

Article mis en ligne le 25 mars 2015

par Laurent Bloch

Le dernier numéro de Commentaire est un bon cru : outre l’article de Dominique Schnapper dont je rends compte sur une autre page, on y trouve une analyse du discours du Front national par Pascal Perrineau, une explication par Alessandro Orsini de la façon dont les services de renseignements peuvent lutter contre le terrorisme (islamiste par les temps qui courent), un diagnostic sur la crise de l’Université par François Vatin, une recension des modes passées et présentes dont Donatien Aldonse François de Sade a fait l’objet, un démontage par Rémi Brague de la notion de « vrai islam », sans oublier un dossier sur l’avenir de la science économique et une critique (sévère) par le dominicain professeur d’exégèse biblique Renaud Silly du roman d’Emmanuel Carrère Le Royaume.

La nouvelle prose du Front national

La prose du Front national n’est pas ma lecture favorite, aussi en étais-je resté aux débordements verbaux de son fondateur : Pascal Perrineau nous livre une analyse serrée de certains passages de discours de sa fille, qui sont bien plus subtils, et calculés à la virgule près, visiblement leur écriture ne laisse rien au hasard, ce qui peut expliquer (au moins en partie) leur succès auprès d’un public de plus en plus vaste. Certes, les propos tenus en privé et rapportés par des transfuges, ou l’expression spontanée de militants mal encadrés montrent que l’idéologie est fondamentalement restée la même, mais il est devenu plus difficile de la mettre au jour en l’extrayant de textes constitués en grande part d’assertions peu réfutables.

Les services de renseignement devraient-ils prévoir les attentats ?

Alessandro Orsini est directeur du Center for the study of terrorism de l’université Tor Vergata à Rome, et chercheur affilié au MIT-Center for International Studies. Son article nous explique clairement en quoi les services de renseignement, notamment français, n’ont pas démérité dans leur lutte contre le terrorisme, parce qu’il est impossible de détecter le passage à l’acte d’un individu qui s’y est préparé longtemps à l’avance, encadré par des professionnels expérimentés de la chose. Peut-être le jour où l’Internet des objets permettra de surveiller en temps réel les fluctuations de la formule sanguine et du rythme cardiaque de l’ensemble de la population en ira-t-il autrement. En attendant les éclaircissements prodigués par le professeur Orsini sont appuyés sur des informations précises et chiffrées et sur des exemples circonstanciés que l’on aurait cherchés en vain dans la presse quotidienne, notamment sur les projets d’attentats déjoués, sur les filières de financement terroristes, etc.

La crise de l’université

C’est une chose de savoir que l’université est en crise, personne n’en doute, c’en est une autre de voir cette crise décortiquée, statistiques à l’appui (malgré les efforts des services statistiques du ministère pour édulcorer le tableau et noyer le poisson), par le sociologue François Vatin. Après bien d’autres dont lui-même il énonce les remèdes à adopter mais que personne n’osera mettre en œuvre : rétablir la mission de l’université, qui n’est pas de servir d’asile à tous ceux qui n’ont pas trouvé de place ailleurs, mais de servir la science par la recherche et un enseignement de haut niveau. Tant que l’université sera condamnée par la loi à accueillir un flot incontrôlable de bacheliers qui ne pourront qu’y échouer, c’est tout le système français d’enseignement supérieur qui continuera à péricliter.

S’affranchir des modes sadiennes

Parmi les engouements successifs dont Sade fut l’objet, c’est bien sûr celui des années 1970 qui m’a atteint personnellement. J’ai cherché avec assiduité les jolis petits volumes édités par Jean-Jacques Pauvert, qui n’étaient plus tout à fait clandestins, mais pas encore complètement pour tous publics, et j’en ai lu des centaines et des centaines de pages, sans oublier d’aller voir le film de Pasolini Salò ou les 120 Journées de Sodome. Je puis avouer aujourd’hui que malgré la perfection formelle des livres et du film ce fut surtout la découverte d’un océan d’ennui traversé de bourrasques de nausée et de dégoût. L’érudit helvète Robert Kopp replace cet épisode de mode qui a suivi mai 1968, particulièrement illustré par Klossowski, Deleuze, Sollers, Barthes et j’en passe, dans la lignée de son ascendance surréaliste avec Bataille, Blanchot, Leiris, etc. Ce vingtième siècle sadien avait été précédé par la vision romantique, et entre les deux s’intercale un moment allemand, avec une vision clinique illustrée par mon homonyme Iwan Bloch, disciple du fondateur de la sexologie Richard von Kraft-Ebing. Quant à notre siècle commençant il est déjà bien parti avec une grandiose exposition du bicentenaire, que le professeur Kopp n’a guère appréciée, et le travail de chercheurs sérieux. Bref, le succès de Sade semble inépuisable, ce qui doit au moins nous poser quelques questions sur l’âme humaine (la nôtre par exemple).