Blog de Laurent Bloch
Blog de Laurent Bloch

ISSN 2271-3980
Cliquez ici si vous voulez visiter mon autre site, orienté vers des sujets informatiques et mes enseignements.

Pour recevoir (au plus une fois par semaine) les nouveautés de ce site, indiquez ici votre adresse électronique :

Sur fond de campagne électorale :
Racisme et antisémitisme en France en 2024
Article mis en ligne le 21 juin 2024
dernière modification le 22 juin 2024

par Laurent Bloch

Il a déjà fallu en parler ici et , et encore auparavant, décidément le racisme ne veut pas quitter la scène française, et tant la campagne électorale en cours que les événements en Israël-Palestine ont déclenché des tempêtes de passions, souvent assorties de propos inconsidérés, ou haineux, ou simplement ignorants, entre lesquels il faut bien faire le tri.

Non, que Jean-Luc Mélenchon ait déclaré que « l’antisémitisme était résiduel en France » ne prouve pas qu’ils soit antisémite, mais à tout le moins que sa compréhension du racisme est très limitée.

Quand Aymeric Caron a déclaré : « De manière évidente Gaza a montré que non, nous n’appartenons pas à la même espèce humaine », il s’est agi d’un énoncé raciste, parce que l’on ne peut exclure quelqu’un de l’espèce humaine, fût-ce un criminel épouvantable (les dirigeants israéliens actuels sont des criminels génocidaires, je tiens à être clair à ce sujet). Les dirigeants nazis déférés au tribunal de Nuremberg étaient des êtres humains, et c’est à ce titre qu’ils ont été jugés et condamnés. Mais sa déclaration ne suffit pas à dire qu’Aymeric Caron est raciste, le racisme est un phénomène d’atmosphère, ses énoncés traînent dans l’air que l’on respire, personne n’est à l’abri d’en répéter une réflexion idiote, sous le coup de la surprise, de l’émotion ou simplement de l’ignorance ou de la paresse. L’anthropologue Françoise Héritier elle-même a expliqué que toute sa vie elle avait dû veiller à éviter les propos racistes qui auraient pu lui échapper. Il faut donc plus d’une phrase isolée, hors contexte, pour décréter que quelqu’un est raciste.

Alors si nous exonérons Jean-Luc Mélenchon et Aymeric Caron de l’accusation de racisme, il n’en va bien sûr pas de même de tous les autres, qui rivalisent dans la surenchère contre l’immigration, le Rassemblement national et Reconquête bien sûr, un certain nombre de dirigeants LR, et aussi à ma grande consternation pas mal d’hommes politiques centristes, sans omettre notre Président de la République, hélas. Et chacun de multiplier les appels du pied en direction des juifs, dont certains tombent dans la panneau, comme Serge Klarsfeld, là aussi à ma consternation, même si je ne suis pas surpris. Et aussi du côté de LFI : les procédés de Léaumant et de Bompard pour minimiser la gravité du viol d’une fillette de 12 ans parce que juive sont immondes.

Je dois dire que l’escroquerie de Marion Maréchal à l’encontre d’Éric Zemmour m’a quand même réjoui : un juif arabo-berbère qui veut faire affaire avec des racistes patentés et assumés, il aurait bien dû se douter de ce qui allait lui arriver...

Je correspond sur X (ex-Twitter) avec une chercheuse que je n’ai jamais rencontrée, Madame Noémie Issan-Benchimol, qui a tout récemment écrit ceci, qui m’a bien fait rire, j’en avais besoin : « Si vous avez besoin de créer une taxinomie digne d’un grammairien néo-aristotélicien du Moyen-Âge pour parler d’antisémitisme, peut-être, je dis bien peut-être, que vous êtes finalement en train d’enculer une mouche en vol. » Pour votre information, voici un exemple de telle taxinomie, emprunté à la tribune publiée dans Le Monde daté du 22 juin 2024 par Arié Alimi et Vincent Lemire : « Il n’y a pas d’équivalent entre l’antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste, utilisé par certains membres de la France insoumise, et l’antisémitisme fondateur, historique et ontologique du RN ».

Cela dit, il y a des gens dont le racisme ne fait aucun doute, parce qu’ils l’ont exprimé clairement, de façon répétée. Ainsi Jean-Marie Le Pen, qui de plus a joint le geste à la parole. Dans le cas de Louis-Ferdinand Céline, on pourra plausiblement envisager l’hypothèse pathologique, comme semble le confirmer le film Louis-Ferdinand Céline - Deux clowns pour une catastrophe d’Emmanuel Bourdieu, adapté du livre de Milton Hindus.

Pour revenir à l’erreur de Mélenchon, qu’il partage d’ailleurs avec une grande partie de la gauche française bien intentionnée : il n’y a pas un racisme anti-arabe, qui serait distinct du racisme anti-africain, lui-même distinct de l’antisémitisme, etc. Dans le racisme, le problème n’est pas du côté du racisé, mais du côté du raciste, c’est une maladie de son être, il est raciste parce qu’il n’est pas assuré de son être, alors il lui faut des gens à mettre plus bas que lui, à mépriser, à haïr, le cas échéant à tuer. Et le raciste, au gré des circonstances, s’en prendra aux Arabes, ou aux Juifs, ou aux Africains, ou à tous à la fois. Comme l’a bien expliqué Franz Fanon, il n’y a pas d’antisémite qui serait parfait avec les Afro-descendants, ou réciproquement.

De par la faiblesse de son être, le raciste est lâche, souvent il ne s’exprime pas, on a l’impression que le phénomène est en recul. Puis l’autorisation vient d’en haut, c’est Nicolas Sarkozy qui déclare qu’il faut nettoyer les banlieues au Kärcher, ou comme en ce moment les hommes politiques de bords politiques hélas variés qui multiplient les propos anti-arabes ou anti-musulmans à la télévision, et là les racistes ne se retiennent plus.

Le racisme moderne est un phénomène propre à l’Occident européen et à ses extensions nord-américaine, sud-africaine ou australienne. On nous dira que les Grecs de l’antiquité ne considéraient pas les « barbares » comme de vrais humains, idem pour les Chinois, les Japonais ou les Arabes du xe siècle, sans doute, mais ce sont des phénomènes différents. L’originalité du racisme européen moderne tient à la collision de la philosophie de la Renaissance (prolongée par les Lumières) avec le développement de l’esclavage aux colonies. La philosophie de la Renaissance, dans le droit fil de la doctrine de l’Église catholique romaine, défendait l’idée, assez nouvelle (et bien étrangère aux Grecs de l’antiquité, Chinois, Japonais, etc.), d’un homme universel, et condamnait plus ou moins clairement l’esclavage. Alors il fallait bien trouver un argument pour l’autoriser aux colonies : ce fut de délimiter les contours de l’humanité de façon à en écarter (plus ou moins, pas complètement mais quand même...) ceux que l’on voulait réduire en esclavage. L’élaboration de cette idée prit du temps, elle triompha lors de l’indépendance américaine, puis sous Napoléon. Le racisme moderne connut sa pleine constitution vers la fin du XIXe siècle, avec le second âge colonial bien analysé par Denis Cogneau et avec l’essor de l’individuation, excellemment décrit par Marcel Gauchet. Comme on avait la doctrine sous la main, elle pouvait s’appliquer aux Juifs et aux Tsiganes, ce qui ne manqua pas d’être essayé.

Le racisme diffère aussi profondément des différentes formes d’ostracisme social ou d’inimitiés nationales : être discriminé parce que l’on n’est pas de la bonne classe sociale ou de la bonne nationalité est certes une violence insupportable, mais ce n’est pas tout à fait la même chose que d’être exclu de l’humanité. Le racisme comporte une dimension religieuse et une dimension sexuelle, illustrée par toutes sortes de fantasmes, par exemple autour de la circoncision, on se demande bien pourquoi mais il ne faut pas y chercher de rationalité. Ces fantasmes sont des dispositifs destinés à écarter de l’humanité commune ceux que l’on veut être des autres, par des caractères physiques ou psychiques inaltérables. Et le repérage de ces caractères fut bien pratiqué par les nazis pendant la seconde guerre mondiale.

Avec l’exemple des propos racistes et des récits fantasmatiques, sur l’immigration par exemple, qui s’affichent tous les soirs à la télévision, dans la bouche d’hommes politiques et de journalistes célèbres, il est fort à craindre que le racisme ordinaire ne prolifère parmi les gens ordinaires, cela a déjà commencé. En tant que juif, je suis soumis à une double injonction paradoxale, que je crois proche de celle qu’ont dû éprouver nos compatriotes musulmans après les attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et du Bataclan, sans oublier la policière municipale de Montrouge Clarissa Jean-Philippe. En effet, l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 a donné lieu à des meurtres de civils dans des conditions épouvantables, que je condamne sans l’ombre d’une hésitation, de même que les opérations génocidaires de l’armée israélienne à Gaza, qui ont atteint une ampleur comparable à Hiroshima. Mais je dois dire que la tension entre les deux bornes de cette situation a lourdement affecté mon état physique et psychique.