Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Une histoire de France et d’Allemagne
France et Friede - Une rencontre
Un spectacle de et avec Maria Kohler, mis en scène par Yves Coudray, Nicolas Saint-Yves au violoncelle
Article mis en ligne le 25 mai 2025
dernière modification le 27 mai 2025

par Laurent Bloch

Le 10 mai de cette année j’ai assisté à Marseille à un spectacle remarquable, conçu et interprété par Maria Kohler, mis en scène par Yves Coudray, consacré aux dernières heures de ma tante France Bloch-Sérazin, guillotinée à Hambourg le 12 février 1943. Pour que le compte-rendu en soit intelligible je vais retracer l’itinéraire de France et de son mari Frédo.

Naissance d’une chimiste

La sœur de mon père, France Bloch, née en 1913, après des études de chimie à l’Université de Poitiers, entre en 1934 au laboratoire des professeurs Georges Urbain et Raymond Marquis à l’École nationale supérieure de chimie de Paris, qui sera intégré au CNRS à la création de cet organisme en octobre 1939. En août 1937 elle adhère au Parti communiste, cellule du 14e arrondissement de Paris, où elle fait la connaissance de Frédéric Sérazin, dit Frédo, ouvrier métallurgiste, déjà père d’une petite fille, Éliane, dont la mère était morte quelques années auparavant. France et Frédo se marient le 13 mai 1939, leur fils Roland naît le 28 janvier 1940.

La Résistance

En 1939 Frédo est mobilisé comme ouvrier spécialisé, puis, repéré comme militant communiste et syndicaliste, arrêté en mars 1940. Interné dans différents centres de travail et de détention, il s’évadera deux fois et rejoindra l’organisation clandestine du PCF en 1943. Arrêté le 15 juin 1944 par la Milice et la Gestapo, il sera torturé et assassiné le même jour.

France participe aux premiers groupes de résistance communiste des Francs-tireurs et partisans, dirigés par Raymond Losserand. Elle installe un petit laboratoire de chimie et fabrique des explosifs utilisés lors de la vague d’attentats organisés à partir d’août 1941 par les Bataillons de la Jeunesse, du colonel Fabien, de Gilbert Brustlein et de Fernand Zalkinow. Elle est arrêtée par la police française avec 68 camarades, le 16 mai 1942. Trois jours avant son arrestation, France Bloch avait vu pour la dernière fois Frédo, interné au camp de Voves.

Après quatre mois d’interrogatoires, dans une cellule de la Prison de la Santé proche de celle de Marie-José Chombart de Lauwe qui en témoignera après la Libération, elle est condamnée à la peine de mort par un tribunal militaire allemand le 30 septembre 1942. L’exécution de la peine de mort pour les femmes est interdite par un décret français de décembre 1941 : France est envoyée à la prison de Lübeck en Allemagne. Son incarcération relève du programme « Nuit et Brouillard » (Nacht und Nebel), qui concerne les condamnés dont personne ne doit savoir ce qu’ils sont devenus. L’opération « Nuit et Brouillard » ne concernait ni l’assassinat des Juifs ni la déportation des autres victimes. Le film d’Alain Resnais Nuit et Brouillard est remarquable, il montre bien l’assassinat des Juifs à Auschwitz, mais le spectateur peu averti peut difficilement comprendre qu’il s’agit précisément de l’extermination des Juifs (le mot est prononcé une seule fois, dans un commentaire anecdotique).

Friede Sommer

Le 10 février le recours en grâce de France est rejeté, et le même jour elle est transférée à la prison de Hambourg pour y être exécutée le 12, neuf jours avant son trentième anniversaire. Mais pendant ces deux jours France va nouer un dernier contact humain, assez inattendu, avec la directrice de la prison pour femmes, Friede Sommer, qui comprend tout de suite ce qui attend la prisonnière et a pour elle un élan spontané. Le bureau de Friede est en face de la cellule de France, elle passe en sa compagnie tous ses instants de disponibilité, par chance elle parle français. Surtout, elle recueille ses dernières lettres à sa famille et elle en fait des copies dactylographiées chez elle la nuit avant de les remettre le matin au directeur de la prison, qui les détruira immédiatement, conformément aux directives Nuit et Brouillard.

Les manifestations de sympathie pour France de Friede Sommer vaudront à cette dernière des sanctions disciplinaires.

Friede cache les copies des lettres de France dans son grenier, et après la fin de la guerre elle en remettra des exemplaires à Madame L. Brauman, de la Mission de rapatriement du Vatican, qui les remettra à la famille.

En 1973 Friede sent sa vie décliner, elle écrit à la mère de France (ma grand-mère) et à Marie-Élisa Nordmann-Cohen, une amie de France. Elle projette un voyage en France pour les rencontrer, qui n’aura pas lieu. Mais Roland, le fils de France et de Frédo, lui rendra visite en Allemagne.

Roland assistera à Hambourg à la pose de la plaque commémorative à l’arrière de la maison d’arrêt Holstenglacis, en mémoire de sa mère et de la résistante Suzanne Masson, exécutée en même temps qu’elle.

Maria et Roland

Mon cousin Roland, le fils de France et de Frédo, ingénieur à Marseille, s’inscrit après sa retraite à des cours d’allemand à l’Université du Temps Libre. Il se lie d’amitié avec sa professeure Maria Kohler, une Allemande installée à Marseille qui a également des activités artistiques : comédienne, récitante, professeur de diction lyrique allemande.

Après la mort de Roland Maria Kohler a décidé de créer un spectacle dont elle est la récitante, accompagnée au violoncelle par Nicolas Saint-Yves, mis en scène par Yves Coudray. Le texte est construit autour des dernières lettres de France, transmises par Friede, et des lettres de Friede à ma grand-mère et à Marie-Élisa Nordmann-Cohen.

À ce jour il y a eu une seule représentation de ce spectacle, à l’Atelier Sevin-Doering de Marseille, une salle atypique et magnifique, intermédiaire entre une salle de lecture de bibliothèque et une arrière-salle de café du XIXe siècle, avec des piliers et des poutres anciennes de style naval (XVIe siècle) et des chats propriétaires des lieux. Maria Kohler porte le spectacle du début à la fin, elle a une très belle stature, son élocution explose quand il le faut, parce qu’il y a de quoi exploser. Le soutien musical de Nicolas Saint-Yves introduit une note de douce rêverie consolatrice.

J’étais là, c’était très beau et très émouvant, j’espère qu’il y aura d’autres représentations (que les lecteurs impliqués dans l’organisation de spectacles se sentent libres d’intervenir en ce sens !).

Documents

La cinéaste allemande Loretta Walz a consacré en 1993 un film à France, France Bloch-Sérazin. Sur les traces d’une femme courageuse, scénario de Hans et Gerda Zorn. La cinéaste française Marie Cristiani a réalisé France Bloch, Frédo Sérazin : un couple en Résistance en 2005. L’historien Alain Quella-Villéger a publié un livre remarquablement documenté, France Bloch-Sérazin - Une femme en résistance (1913-1943), aux Éditions des Femmes - Antoinette Fouque.


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