Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Tout fout le camp : même l’École normale supérieure !
Article mis en ligne le 21 août 2009
dernière modification le 26 août 2009

par Laurent Bloch

Mardi 18 août, peu après six heures du matin, France-Culture a diffusé une conférence de Monique Canto-Sperber, Directrice de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Le sujet en était l’École normale supérieure, son histoire, son rôle et sa place dans le système universitaire français. Je l’ai écoutée en préparant mon petit déjeuner : ma compagne m’avait suggéré de me lever tôt parce que l’émission de la veille avait été passionnante.

C’est dans le dernier quart d’heure que Madame Canto-Sperber annonça la catastrophe. Elle le fit à la manière de la chanson « Tout va très bien, Madame la Marquise », où le récit des malheurs commence par la mort de la jument grise pour finir avec l’incendie du château et le suicide du Marquis.

Première annonce, bénigne : l’École normale supérieure délivrera
désormais un diplôme. Enfin, pas si bénigne que cela : le vrai chic
de cette école, la meilleure de France, était justement de ne pas
proposer de cursus organisé et de ne pas délivrer de diplômes. Les élèves, sélectionnés parmi les plus brillants sujets à l’issue d’un concours ultra-difficile (je m’empresse de préciser que je n’ai même pas rêvé de m’y présenter), suivent à leur gré des conférences données par des maîtres prestigieux, sans
autre préoccupation que d’enrichir leur esprit. Ils disposent
également d’excellents laboratoires, mais tout cela fonctionne sans
préoccupation utilitaire de suivre un cursus déterminé à l’avance.

Pourquoi donc troubler ce commerce gratuit des esprits par une chose aussi vulgaire qu’un diplôme ? Eh bien parce que l’ENS accueille déjà, et se prépare à accueillir en plus grand nombre, des étudiants. Des étudiants, quelle horreur : et en plus ils veulent un diplôme... En effet : cela a commencé avec des étrangers, parce qu’il fallait bien s’internationaliser, mais on ne pouvait pas demander à des étudiants étrangers d’adopter le moule français des classes préparatoires, des grandes écoles et des concours de la fonction publique. Et puis il y a eu des thésards, parce qu’il fallait bien s’adapter aux standards en matière de recherche. Maintenant ce sont des masters, bref le ver est dans le fruit. Et encore, je ne parle pas de la fusion avec Sèvres, de peur de représailles trop cruelles.

Mais alors, ce diplôme ne risque-t-il pas de devoir être délivré à
des gens, des étudiants donc, qui n’auraient pas passé le concours ? Si fait.

N’aurait-il alors pas pu être envisagé de créer deux diplômes, un qui aurait été délivré aux élèves qui auraient passé le concours, et un autre, avec peut-être la mention « auditeur libre », ou « seconde division », pour ces étudiants, donc ? Cela a été envisagé. Mais cela n’a pas été retenu, on sent bien que cela aurait ruiné toute l’entreprise.

Franchement, quand j’entends ça, je me dis que la civilisation française est sur le déclin ! Si réussir un concours à vingt ans ne confère plus, pour la vie entière, une qualité ontologique inégalable, ne risque-t-on pas de sombrer dans la démocratie ? Le ciel nous en garde.