À l’occasion d’un cadeau de ses amis pour son vingt-cinquième anniversaire, Théo prend des leçons dans un stand de tir, il y fait connaissance de Léa, qui tire elle aussi. Ils vont s’aimer. La mère de Théo, Marie, est allemande, pas un instant de sa vie elle n’oublie la dette du génocide et la nécessité de la réparation, pour ne pas dire de la pénitence. Chaque 27 janvier Théo regarde avec elle la cérémonie commémorative d’Auschwitz au Bundestag, lors de laquelle des survivants viennent s’adresser au peuple allemand.
Léa est juive, elle sera pour Marie la bru idéale, concept beaucoup plus rare que celui de gendre idéal. Seul petit regret, Théo et Léa n’auront qu’un seul enfant, une fille, Noémie, ce qui privera Marie de circoncision. Parenthèse personnelle : mon expérience de père confirme qu’une circoncision de petit-fils est pour la grand-mère une occasion de jubilation sans pareille.
Léa a une sœur, Rose, d’un an de moins qu’elle, qui épousera Benjamin, un Breton, comme Théo. Rose sera mère la première, et aura de nombreux enfants.
Léa déteste la religion, sa famille n’y attache aucune importance, mais le cercle familial est très compact, Benjamin et Théo y seront accueillis avec des acclamations, mais ils s’y sentiront toujours un peu marginaux, faute d’un passé partagé lourd.
Bref, tout le début du roman expose l’ambivalence de ces mariages mixtes, où chaque famille s’enorgueillit d’avoir conquis un membre de l’autre groupe, mais en même temps mesure la fragilité de cette conquête, et cela marche dans les deux sens.
Et puis, Marie, la mère de Théo, meurt subitement, une rupture d’anévrisme. Étrangement, Léa en fut très affectée, plus que Théo. « Marie était la grand-mère de souche dont elle avait rêvé, celle qui racontait à Noémie des souvenirs ancrés quelque part, en Bretagne, et qui possédait des objets anciens. “Sans Marie, je n’ai plus d’ancrage”, dit encore Léa. ».
« Quand Théo rangea la bibliothèque de sa mère et découvrit le nombre de guides qu’elle possédait sur Israël, il songea qu’il avait failli en ne l’y emmenant pas. Si elle-même n’avait jamais pris l’initiative d’un tel voyage, c’est qu’elle l’attendait de lui. Il avait mille fois visualisé ce voyage et chaque fois s’y était senti comme enseveli. »
Comme celui de Vladimir Poutine, l’anniversaire de Théo est le 7 octobre, celui de 2023 devait être son cinquantième, des festivités grandioses étaient organisées, elles ont dû être annulées à la dernière minute, invités désinvités, traiteurs indemnisés, etc.
Et commence cette période atroce, qui dure encore. On ne peut rien dire qui soit juste : rien ne saurait justifier les atrocités commises ce 7 octobre, telles que filmées par leurs propres auteurs. Mais cet événement ne venait pas dans le vide, rien ne justifiait les actions meurtrières pour les civils, antérieures, de l’armée israélienne à Gaza, 1956, 2004, 2008-2009 (1330 Palestiniens tués), 2014 (2251 Palestiniens tués, dont 551 enfants), et j’en oublie. Un jour Théo, qui s’était séparé de Léa, reprochera à son amie libanaise Maya son refus obstiné d’Israël ; elle lui répondra : « Tant d’humiliation, de mépris, tu ne te rends pas compte. » Il y a des gens qui sont coupables à 100%, comme Netanyahou et sa clique, mais déjà pour les dirigeants du Hamas, aussi détestables soient-ils, la cause peut se plaider, et en face personne n’a complètement raison. Ceux qui massacrent les civils palestiniens par dizaines de milliers, ce sont les Israéliens, alors les Arabes soutiennent ceux qui combattent les Israéliens, le Hamas, le Hezbollah... Alors, pour ne pas perdre ses amis, on n’en parle pas, on évite le sujet, cette hypocrisie pèse, mais de toute façon on n’a rien de juste à dire...
Cette guerre arrimera Léa à Israël de façon inconditionnelle, Théo ne pourra pas la suivre sur ce terrain, ils s’éloigneront l’un de l’autre, Théo la quittera, il rencontrera Maya, une peintre libanaise talentueuse, bien plus jeune, dont il aidera la carrière (il est universitaire, histoire de l’art). Elle le quittera, pour un Juif...
La première qualité de ce roman, à mon avis : il décortique de façon méticuleuse, en remontant dans le temps, les facteurs qui rendent l’atmosphère instaurée par le 7 octobre 2023 et par la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza et en Cisjordanie asphyxiante, pour les Juifs, pour les Arabes, sans doute aussi pour beaucoup d’autres. Il est par exemple pénible, quand on est juif, d’avoir à expliquer que l’on peut condamner totalement les actions de l’armée israélienne et des colons sans approuver le moins du monde le Hamas et le Hezbollah, tout en comprenant que des Arabes de bonne volonté les soutiennent... Quand on arrive là la moitié de vos amis vous ont déjà quitté. On ne peut plus ouvrir la bouche ou prendre la plume sans proférer quelque chose de douteux. Ce texte n’y échappe sûrement pas.
Petit private joke : à un moment, avec Maya, Théo s’invente un père démographe en Égypte. La dédicace du roman est un autre indice. Devinette pour le lecteur. Un rayon de lumière sur le tas de cendres qu’amassent les événements en cours, et dont on ne voit pas la fin.