Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Laïcité, voile, justice, Sabrina
Article mis en ligne le 1er mai 2009
dernière modification le 8 mai 2009

par Laurent Bloch

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » (Constitution de la République).

La République française est laïque : c’est-à-dire qu’elle
n’intervient dans aucun culte, et qu’elle garantit la
liberté d’exercice (ou de non-exercice) de tous, en s’interdisant
d’en privilégier aucun. La liberté de culte comporte la liberté de
manifester publiquement son appartenance religieuse, par exemple en
organisant des processions ou des pélerinages.

S’opposer à une religion, ou à toutes, militer contre les
manifestations publiques d’une appartenance religieuse, c’est une
opinion comme une autre, dont l’expression est légitime, mais qui ne
saurait arguer de la constitution ni de la loi pour s’imposer à
autrui ; on pourrait nommer cette opinion laïcisme. Dès lors qu’un
tel militantisme recourt aux moyens de la puissance publique pour
atteindre ses buts et contraindre ses adversaires, il y a abus de
pouvoir, on pourrait parler d’inquisition laïciste.

L’article 1 de la loi du 15 mars 2004 dispose : « Dans les écoles, les
collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par
lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance
religieuse est interdit. » L’application de ces dispositions est
limité aux établissements d’enseignement primaire et secondaire. Je
n’approuve pas cette loi, mais c’est la loi. Je souhaite qu’un jour
une majorité parlementaire l’abroge, et que d’ici là elle soit
interprétée et appliquée avec modération et parcimonie.

La circulaire Villepin du 13 avril 2007 stipule : « Le fait pour un
agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice
de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations. » C’est
une simple circulaire, dont le pouvoir contraignant ne se compare pas
à celui de la loi ou de la constitution. Et tout est dans
l’interprétation que l’on peut donner du verbe « manifester », et plus
encore, me fait remarquer une amie, de la locution « dans l’exercice ». Un
instituteur qui, pendant les cours, tenterait de convertir ses élèves
à sa religion tomberait bien sûr sous le coup de cette circulaire, mais
le port de tel ou tel vêtement est-il une manifestation, et interfère-t-il
avec l’exercice des fonctions de l’agent public ?

En fait, si l’on interprète le texte de la circulaire de façon
restrictive, on aboutit à une situation assez paradoxale : toute femme
employée d’un service public aurait le droit de porter un foulard dans
l’exercice de ses fonctions, sauf si elle est musulmane, parce que là
ce serait « manifester ses convictions religieuses ». Au fait, qu’en est-il des religieuses en tenue qui travaillent dans les hôpitaux ?
Et, bien sûr,
comme me le fait remarquer un ami, tout fonctionnaire public a le
droit de venir travailler avec les cheveux teints en vert, des
piercings, des vêtements déchirés laissant voir de larges parties de
son abdomen et de son postérieur, et même un foulard, à condition de
ne pas être une femme musulmane. Au pays de Descartes cette position
me semble intenable, voilà pourquoi je trouve inadmissible le sort fait
à Sabrina, étudiante en thèse licenciée sans préavis ni
indemnité pour port du voile.

Vendredi 17 avril le tribunal administratif a rejeté la
requête de suspension du licenciement de Sabrina, qui a décidé de
porter l’affaire devant le Conseil d’État. D’autre part, le MRAP a
fait parvenir au président de l’université Paul Sabatier une lettre
qui souligne les aspects très discutables de la décision
prise à l’encontre de Sabrina. Les musulmans en ont assez d’être
discriminés, on les comprend.

Pour illustrer l’étrangeté de cette sanction, je ne saurais mieux dire
que d’emprunter à Jean Baubérot l’anecdote suivante. En 1905 (1905 !)
quelques dizaines de députés emmenés par le radical-socialiste
Charles Chabert déposent un projet d’amendement au texte de ce qui
allait devenir la loi de séparation de l’Église et de l’État pour
interdire le port de la soutane. Le texte est tourné en termes
généraux, mais en fait sont clairement visés les curés et leur soutane [1]. Leurs arguments sont intéressants, et vous rappelleront des choses :

 la soutane est une marque insupportable de la soumission de ceux qui la portent à l’autorité ecclésiastique ;
 les prêtres eux-mêmes attendent avec une impatience muette que la République les en délivre ;
 la soutane est « une prédication vivante, un acte permanent de prosélytisme ».

À ces arguments, Aristide Briand, le principal artisan d’une loi dont
on attribue plus souvent la paternité à Émile Combes, répond que
c’est à la suite « d’une délibération mûrement réfléchie » que la
Commission a estimé que ce serait encourir les
reproches « d’intolérance » et même de « ridicule que de vouloir, par
une loi qui va instaurer dans le pays un régime de liberté, » imposer
aux prêtres « l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements ».


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