François Géré est un chercheur en relations internationales et en stratégie, qui va très bientôt devenir le premier titulaire de la chaire Castex-EADS sur la Cyberstratégie que s’apprête à ouvrir l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Auteur de nombreux ouvrages, dont l’avant-dernier est Iran, l’état de crise, directeur de l’Institut français d’analyse stratégique, il publie tout récemment un Dictionnaire de la désinformation.
Voici ce qu’il dit lui-même : « en une vingtaine d’années, l’usage de ce terme qui jusqu’alors se limitait aux spécialistes du renseignement et de la propagande a connu un développement exceptionnel lié aux médias de masse puis aux nouveaux vecteurs de communication (Internet, Facebook, etc.). Il est désormais courant d’invoquer la désinformation pour s’en déclarer victime et rejeter sur l’adversaire la responsabilité d’une manoeuvre occulte, par définition invérifiable, sauf accident.
Dans tous les domaines stratégiques (politiques, militaires, économiques) la désinformation s’est insinuée, troublant l’esprit public, sapant les bases de la démocratie qui, pour survivre, doit rapidement réaffirmer et consolider le rôle de l’information et la valeur du savoir. »
Ce volume est constitué d’un dictionnaire au sens propre du terme, soit près de 300 articles en ordre alphabétique, d’« Action psychologique » à « Zinoviev, Grigori », précédés d’une centaine de pages d’analyse théorique et de mise en perspective historique. Une table chronologique nous mène du cheval de Troie à Wikileaks en passant par le Protocole des Sages de Sion, les procès de Moscou, le Watergate et l’affaire Clearstream. On observe d’ailleurs que les nazis semblent avoir été moins bons que Staline en désinformation, ce qui pourrait avoir contribué à leur perte.
J’ai appris avec tristesse que la Guerre des Gaules, œuvre dont j’étais fier d’avoir surmonté les difficultés en classe de cinquième, était en fait une entreprise de désinformation (assez réussie) au profit de la carrière de son auteur. De même, tout ce qu’on nous a appris à l’école sur la prise de la Bastille semble bien être le fruit de la désinformation.
En fait, si la désinformation est un procédé de toutes les époques et sous tous les cieux, dont on trouverait sans doute des exemples chez certaines espèces animales, voire végétales, bref, si c’est le propre de la vie, ce sont les sociétés modernes, démocratiques ou de masse, qui en ont multiplié les usages, puisqu’il fallait désormais tenir compte de l’opinion des citoyens, et si possible l’orienter selon ses souhaits. Lord Beaverbrook (William Maxwell Aitken), Randolph Hearst, Joseph Goebbels, Serge Tchakhotine, Herbert George Wells, chacun à sa façon, ont leur entrée dans ce dictionnaire, en tant que maîtres de la désinformation, comme praticiens ou comme théoriciens.
Si le propre de la désinformation est souvent de multiplier les sources de messages pour désorienter celui qui en est la cible, celle d’hier se jouait essentiellement dans la presse et à la télévision, et c’est l’Internet qui est le vecteur axial de la désinformation d’aujourd’hui, ainsi que l’ont bien illustré Wikileaks, les attaques contre l’Estonie et la Géorgie, les manœuvres chinoises pour contrôler Google et le DNS (Domain Name System).
Bien sûr, une place importante est réservée aux usages stratégiques de la désinformation, comme en témoignent les entrées réservées à la dépêche d’Ems, ou à la machine à crypter allemande Enigma et à sa cryptanalyse par des logiciens polonais passés en Angleterre, mais trouvent aussi une place les Liaisons dangereuses, œuvre d’un officier d’artillerie expert dans l’art du siège, des places fortes ou des belles dames, où la désinformation joue aussi un rôle de premier plan. Très utile à la plage : vous devriez y aller muni de ces deux livres.