La canicule de fin juillet m’a plongé dans une certaine hébétude, et il m’a fallu trouver des lectures suffisamment stimulantes pour m’en extraire au moins quelque peu. Voici ce que j’ai trouvé.
Vie et opinions de Tristram Shandy
Ce livre de Laurence Sterne est un feu d’artifice, 600 pages de jubilation qui valent aussi pour les périodes de vague à l’âme, j’y reviens régulièrement. Il présente un seul inconvénient : si vous le lisez au lit vos éclats de rire risquent de réveiller la personne qui dormirait à vos côtés.
Le narrateur commence par excuser auprès du lecteur son esprit fantasque et désordonné par le manque de concentration de ses parents au moment de sa conception ; à l’instant crucial sa mère aurait demandé à son père s’il n’avait pas oublié de remonter la pendule, ce qui aurait provoqué une dispersion regrettable et irrémédiable des esprits vitaux de l’enfant à venir.
Un peu plus loin est examinée la question du baptême des enfants avant la naissance, en cas d’accouchement difficile et dangereux. Les théologiens catholiques et protestants divergent à ce propos, certains proposent de baptiser l’enfant dès lors qu’une partie de son corps est visible, d’autres suggèrent l’usage d’une canule. Tristram Shandy propose une solution plus radicale : que juste après le mariage et avant sa consommation soient baptisés en groupe au moyen d’une canule tous les spermatozoïdes (qu’il nomme homuncules) du mari, une bonne fois pour toutes, ce qui règlerait le problème.
Cette lecture est aussi une leçon de modestie nationale pour le lecteur français : Sterne a influencé le Diderot du Neveu de Rameau et de Jacques le Fataliste, qui ne l’égalent point, mais aussi le Flaubert de Bouvard et Pécuchet, moins léger, par la satire de la science qu’il exerce à propos de l’oncle du narrateur, Toby Shandy, qui pour raconter à ses voisins les circonstances de sa blessure au siège de Namur en 1695 se plonge dans la lecture des traités de balistique tel celui de Niccolò Tartaglia (1499-1557), le premier à avoir établi que les boulets de canon ne se déplaçaient pas en ligne droite, mais aussi dans les ouvrages consacrés à l’art des fortifications ; avec l’aide de son valet il construit dans son jardin des maquettes des principales fortifications européennes dont il s’est procuré les plans.
Je ne connais qu’un auteur aussi réjouissant et apte à dissiper la morosité : Frédéric Dard, qui écrivait les San Antonio. Le texte anglais est dans le domaine public et disponible au format ePub pour liseuses. Il existe plusieurs traductions françaises, celle de Charles Mauron annotée par Serge Soupel (Garnier Flammarion) me semble très acceptable.
Laurence Sterne m’a été révélé par une émission de radio entendue par hasard alors que j’étais au volant : j’avais pris l’émission en cours de route, mais la lecture de ces textes m’avait semblé extraordinaire. Impossible d’identifier l’auteur. Une malédiction me poursuit : les gens que je n’aime pas me rendent service. Là c’est grâce à Télérama, un périodique que j’abhorre, que j’ai pu remonter au programme de France Culture de ce jour (c’était à l’été 1990).