Blog de Laurent Bloch
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ISSN 2271-3980
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Observer la température au XXIe siècle.
Article mis en ligne le 14 août 2025

par Laurent Bloch

Au siècle dernier j’ai eu un professeur de physique pointilleux qui nous avait expliqué que la température ne pouvait pas être mesurée, parce qu’elle n’était pas une grandeur additive ; elle pouvait simplement être repérée, ou pour mieux dire (à mon avis) observée, au moyen d’appareils archaïques que les plus jeunes ont peut-être vus chez leurs grands-parents : des thermomètres. Ce professeur avait peut-être subi l’influence d’un collègue mathématicien adepte de la théorie de la mesure, mais mon maître Jean Matricon m’a affirmé un jour que cette restriction était du coupage de cheveux en quatre...

Aujourd’hui quiconque veut s’informer de la température extérieure la demande à son téléphone, et la réponse est bien plus exacte que celle d’un thermomètre. En effet, la science météorologique énonce les règles de placement d’un thermomètre pour que la température qu’il indique soit conforme aux normes météorologiques internationales : à deux mètres au-dessus du sol, sous un abri orienté au nord qui l’abrite du vent. Il est difficile de réunir ces conditions dans un appartement urbain contemporain : j’ai bien une fenêtre orientée au nord et un thermomètre professionnel hérité d’un oncle ingénieur chimiste, mais la fenêtre est au cinquième étage et donne sur une cour assez étroite où remonte la chaleur des appartements des étages inférieurs, sans oublier au rez-de-chaussée la cuisine du restaurant de l’immeuble de derrière dont nous partageons la cour. Et sans parler de la piètre qualité des thermomètres de grandes surfaces...

Le téléphone contemporain ne comporte pas de thermomètre, même si certaines applications prétendent donner la température ambiante (je suis très sceptique), mais il dispose d’un récepteur GPS (ou d’un autre GNSS, abrégé de Global Navigation Satellite Systems) qui peut obtenir ses coordonnées géographiques avec une grande précision : dans son livre Le Temps vu autrement Gérard Berry explique par quels procédés, qui ne sont pas triviaux, loin s’en faut. En effet, il faut capter les émissions d’au moins quatre satellites pour pouvoir calculer les trois coordonnées géodésiques plus l’altitude : « Chaque satellite contient plusieurs horloges atomiques d’une précision inenvisageable même au milieu du 20e siècle, qui sont synchronisées entre elles. Les satellites sont de plus synchronisés entre eux par échange radio, ce qui demande des calculs de relativité générale car la masse de la Terre courbe le trajet des ondes radio utilisées pour ces échanges. Chaque satellite envoie périodiquement des messages contenant l’heure exacte de l’envoi telle qu’il la connaît, ainsi que l’endroit très précis où il se trouve dans l’espace. Supposons que votre téléphone contienne aussi une horloge atomique ultra-précise permettant de savoir exactement à quelle heure il a reçu le message. Alors la différence entre l’heure d’envoi et l’heure de réception pourrait être utilisée pour connaître la distance du satellite avec une très grande précision, puisque la vitesse de la lumière et donc des ondes radio qui en font partie est connue. Le téléphone se situerait alors sur une sphère d’un rayon bien déterminé autour de la position exacte du satellite lors de l’envoi, incluse dans le message. Pour que le téléphone connaisse ses trois coordonnées sur la Terre (longitude, latitude et altitude), il suffirait d’écouter trois satellites et de calculer le point d’intersection de leurs trois sphères, bien sûr entaché d’une incertitude qui dépend de la précision de la localisation selon les angles des satellites entre eux et la qualité de la réception. Et si on capte davantage de satellites, on réduit nettement cette incertitude. »

Mais, hélas, votre téléphone ne comporte (heureusement) pas d’horloge atomique : comment va-t-il résoudre alors le problème ? Vous le saurez en lisant le livre (passionnant), mais au bout du compte le téléphone dispose des coordonnées géographiques exactes de sa position, soit dit en passant plus exactes que ce qu’obtiendrait un ordinateur connecté à l’Internet : en effet les antennes 5G sont disposées régulièrement (cf. article du bulletin 1024 sur la 5G) et assez proches les unes des autres, alors que l’on ignore la position du point d’accès au réseau auquel on est rattaché.

Muni de cette information de position, l’application thermomètre va consulter la base de données de la Météorologie nationale, qui va lui révéler l’identité de la station météorologique la plus proche, qui, elle, connaît la température normalisée observée dans les conditions réglementaires et va la lui communiquer, ainsi que la pression atmosphérique et le degré hygrométrique.

Voilà pourquoi Messieurs Réaumur et Fahrenheit seraient bien étonnés de voir comment désormais leurs successeurs observent la température, grâce à la mesure du temps et des distances par des procédés insoupçonnables.